Évènement

Entretiens sur l'art avec Isabelle Cornaro

Jeudi 24 juin 2021 à 18h

Le film occupe une place centrale dans la pratique d’Isabelle Cornaro, modèle conceptuel d’un art qui scrute notre rapport aux objets et aux images : un fétichisme ordinaire, quotidien. Tout d’abord, le choix d’objets : ancré dans la réalité ordinaire, domestique et affective, il constitue une collection fonctionnant aussi comme une troupe d’acteurs que l’on retrouve d’une œuvre à l’autre, dans ses bas-reliefs, ses paysages et ses films. L’artiste filme des objets de petite taille, maniables, qui ont trait pour la plupart à l’ornement et à la parure : bijoux, verroterie, bibelots, flacons de parfum, cosmétiques, statuettes, boutons, etc., auxquels se sont récemment ajoutés des personnages en plastique, jouets pour enfant, qui rappellent les premières figures réalisées par les humains. Tous ces artefacts familiers, qui envahissent et consument un monde que les humains dominent apparemment, sont tout d’abord l’expression d’un « besoin humain élémentaire », « forme originelle de l’art » : l’ornement ou « la parure [qui] répond à l’un des besoins les plus élémentaires de l’homme, plus élémentaire même que celui de protéger le corps » (Aloys Riegl). Cornaro, avec le film en particulier, sonde précisément cette dimension anthropologique de notre relation aux objets.

Ses films sont séduisants. Réalisés en 16 mm, ils ont une texture sensuelle, un grain velouté. Les images chatoient, ruissellent d’effets de lumière, de couleur et de texture. Très courts, les films durent en moyenne entre 2 ou 3 minutes : brefs et percutants comme des clips publicitaires, ils nous transportent dans le monde enchanté de la marchandise.

Isabelle Cornaro dénaturalise l’objet et insiste sur sa présence à la fois physique et magique, s’inspirant aussi bien de la publicité, du cinéma ou du film expérimental. Filmés en gros plan, les objets sont abstraits de tout contexte : ils apparaissent et disparaissent, échappant au regard qui les convoite. Ils sont mis en scène, parés de mille artifices : ils clignotent, s’illuminent, se dédoublent. Tour à tour sublimés, salis ou cassés, ils sont pris dans le mouvement et les événements du film : tressautements de la pellicule, travellings caressants ou rapides, montages rythmés, nombreux flickerings ou clignements, coupes brutales, récurrences d’images, superpositions. Usant d’une variété d’artifices, l’artiste sature l’image : de coloris éclatants évoquant la palette des Maniéristes du XVIe siècle, de trucages, de jeux de lumière.

Les objets perdent leurs contours et leurs formes, redeviennent matière, rejoignant une réalité organique : réalité subliminale et pulsionnelle dont le film est le médium idoine et qu’il fait advenir. L’artiste produit l’expérience d’une hypertrophie du voir : le visuel devient tactile, l’optique, haptique. À la manière de rituels magiques, ces formes brèves jouent et rejouent inlassablement la scène d’un désir infini d’objet, scène d’envoûtement de et par la marchandise, de double possession – on désire posséder l’objet qui envoûte et prend possession de soi. L’artiste se situe ainsi clairement dans la lignée du cinéma expérimental ou structurel des années 60, 70 et 80 – on pense à Kenneth Anger ou Jack Smith, entre autres envoûteurs exorcistes. Ses petits joyaux intensément paradoxaux sont des blocs de sensations, oscillant entre forme et informe, objet et abject, élégance et outrance, ils suscitent fascination et répulsion.

Anne Bonnin

 

 

 

 

Date
Horaire
18h00
Lieu
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre

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