< input > avec Susanne Kennedy
Confié à Julien Bécourt, le cycle input célèbre l’union entre les arts visuels et les arts sonores. Des installations muséales à l’activisme underground, de Fluxus à la noise music, il conviera un·e artiste plasticien·ne à évoquer sa relation aux résonances et à la vibration du son, et à interroger ce lien sacré que les arts ont toujours noués avec la musique – qu’elle soit d’ordre mineure ou majeure, populaire ou savante.
Dernières rencontres du cycle < input > de la saison 2024-25
Mercredi 21 mai à 19h : Oliver Beer
Mercredi 28 mai à 19h : Susanne Kennedy
Selon des approches à la fois opposées et complémentaires, le plasticien et compositeur Oliver Beer et la metteure en scène Susanne Kennedy adossent tous deux leur pratique artistique au son : témoin de l’histoire de la civilisation pour Beer, tourné vers les mondes virtuels chez Kennedy. Dans ce prolongement sonore de l'expression visuelle, l’un comme l’autre entretient un dialogue entre passé et futur. Leurs créations esquissent chacune à leur manière l’hypothèse d’une humanité en voie de transformation, où l’accélération technologique, en redéfinissant notre perception de l’espace et du temps, ne fait que raviver des mythes et des rituels primordiaux.
Beer a suivi une formation en composition musicale à l'Academy of Contemporary Music de Londres avant de fréquenter la Ruskin School of Art de l'université d'Oxford et d'étudier la théorie du cinéma à la Sorbonne, à Paris. Cette formation musicale se reflète dans ses performances en direct, ses films, ses installations, ses peintures et ses sculptures, qui révèlent les propriétés acoustiques cachées des objets, des corps et des environnements architecturaux. Dans l’installation Vessel Orchestra (2019), il amplifie l’intérieur d’objets creux issus de la collection du Metropolitan Museum of Art. À travers The Resonance Project, entamé en 2007, ce sont des polyphonies vocales qui jouent avec la réverbération naturelle de bâtiments vides, de l'Opéra de Sydney au Palais de Tokyo, en passant par un hammam à Istanbul, un parking à Paris et des égouts à Brighton. Pour l’installation vidéo multi-écrans The Cave, présentée à la Biennale de Lyon 2024, l’artiste invite des chanteur.se.s de renom (Rufus Wainwright, Woodkid, Mélissa Laveaux…) à répercuter leur chant dans les différentes salles de la grotte de Font-de-Gaume, en Dordogne. Cet opéra filmé révèle des sonorités acoustiques dont l’homo sapiens a fait pour la première fois l’expérience il y a 19 000 ans. Il élabore simultanément ses Resonance Paintings qui utilisent ces mêmes fréquences vibratoires pour étaler des pigments dispersés sur ses toiles, capturant les « formes du son ». « Le son est une présence sculpturale qui dépend entièrement de la forme, du temps, de la géométrie et de l'espace, énonce-t-il. Si vous regardez les objets d'un point de vue acoustique, ils peuvent commencer à révéler des choses que nous n'aurions pas réalisées si nous les avions observés de manière purement visuelle ».
A l’inverse, les dispositifs théâtraux de Kennedy s’interrogent sur la nature même de la réalité et sont moins tournés vers l’origine que vers une forme de cyber-animisme, où la technologie servirait de médiation avec le monde invisible. Au croisement de l’installation vidéo et de la performance, ils transforment les comédien·nes en présences désincarnées. Doté·es de masques en silicone, iels jouent en playback des dialogues préenregistrés en studio, qui renforcent la déconnexion entre leur voix et leur corps. La scène y devient un simulacre d’univers domestique, propice à révéler l’inconscient du monde digital et l’envers déshumanisant de la société de consommation.
Après avoir exploré les textes d’Elfriede Jelinek, Enda Walsh et Sarah Kane, elle met en scène On achève bien les chevaux d’après Horace McCoy en 2011, puis Purgatoire à Ingolstadt de Marieluise Fleisser en 2013. Sa création suivante, Hideous (Wo)men (2013) résulte d’une collaboration avec le duo d’artistes performeuses Boogaerdt/VanderSchoot et détourne le dispositif du jeu télévisé Tournez Manège. En 2014, elle adapte le film Pourquoi Monsieur R. est-il atteint de folie meurtrière ? de R.W. Fassbinder et Michael Fengler, peaufinant un théâtre de l’absurde qui préfigure l’ère post-numérique.
Viendront ensuite Orfeo (2015), puis Medea.Matrix (2016), sa première collaboration avec le plasticien Markus Selg, où écrans et lumière occupent une place centrale. En 2018, Women in trouble met en scène des femmes confrontées à la maladie et à la mort, depuis le point de vue d’une réalité artificielle. S’ensuivront une série de collaborations avec Selg, conçus comme des tableaux vivants où nature et technologie auraient fusionné pour donner naissance à de nouveaux rituels : Coming Society (2019), Algorithmic Rituals (2019), Ultraworld (2020) et Oracle (2020). L’atmosphère onirique d’ANGELA (a strange loop), programmé en 2023 à L’Odéon-Théâtre de l’Europe, épouse aussi bien l’étrangeté hypnotique des films de David Lynch que la satire sociale de la série The Curse. Dans un décor entre plateau TV, bloc opératoire et appartement-témoin, une jeune femme ressent les symptômes d’un mal mystérieux dont l’origine n’est jamais identifiée. Une expérience sensorielle, à la fois burlesque et perturbante, qui transporte les spectateur·ices dans un rêve éveillé.
Invitée du Festival d’Automne en 2023, elle livre dans la Grande Halle de La Villette sa propre version de l’opéra postmoderne Einstein on the Beach, initialement conçue par Bob Wilson sur une partition de Philip Glass. Une œuvre monumentale de quatre heures, montée sur une scène tournante, où les spectateur·ices peuvent circuler librement au milieu de chanteur·euses, de comédien·nes et de chèvres. Dans ce maelstrom psychédélique, post-humanisme et chamanisme se conjuguent pour dépeindre le cycle éternel de la civilisation, où le futur se rattache aux balbutiements de l’humanité.
