Exposition

Wilfrid Almendra ‘Where the Sun Pauses’

Exposition jusqu'au 17 août 2025

HORS-LES-MURS
Exposition personnelle de Wilfrid Almendra à la Kunsthalle Lingen (Allemagne)
Soutenue par la Fondation Pernod Ricard

Écrire ce texte, c’est le faire en mouvement – entre deux géographies, deux montagnes, deux états météorologiques – entre les lumières qui s’engouffrent dans le wagon d’un train. J'observe, comme Wilfrid Almendra, un état de la lumière en constante transition : lente à cause du passage des nuages, stroboscopique en raison de la vitesse de ce train et de sa rencontre avec les arbres statiques au bord des rails. Il semblerait que ce soit entre que se situent les gestes de Wilfrid Almendra ; entre les interstices des territoires qu’il éprouve quotidiennement et qui laissent apparaître différentes lumières : celle d’une ville, celle d’une zone industrielle ou d’une campagne portugaise. Dans ces interstices, il est question des rythmes – de vie, de travail – et des différentes strates d’une mémoire collective qui se découpe, manque de se perdre et se transmet à travers des gestes, des objets, des paroles entre plusieurs générations qui composent la diaspora portugaise dans laquelle l’artiste évolue depuis son enfance et avec laquelle il tente de maintenir un lien.

Il y a vingt ans, Wilfrid Almendra a racheté une maison familiale dans un hameau au Portugal. Un lieu sans économie, mais dont les hectares de terre l’enrichissent de possibles récoltes : pommes de terre, huile d’olive, oranges, que l’artiste cultive et troque contre des heures de travail, permettant la reconstruction lente de cette bâtisse, ou contre de la matière première pour la production de ses œuvres. Cette économie du troc – relative à des microcosmes précarisés, comme une réponse aux limites de l’économie dominante – irrigue l’exposition de matériaux usés, échangés, transformés, et révèle une forme de circularité du travail : l’un peut être fait pour l’autre. Chaque sculpture devient la trace d’un passage, d’un état de la rencontre avec des personnes qui développent des activités parfois invisibles : glaneurs de cuivre, de plaques de verre de serres abandonnées, etc. Une circulation lente des matériaux, dépendante à la fois de la condition et de l’énergie du corps humain – qui devient elle-même une ressource échangeable – et des conditions naturelles qui permettent de maintenir ces récoltes ou non, prenant en compte les intempéries, les maladies ou les limaces qui envahissent le territoire.

Pour l’exposition Where the Sun Pauses, Wilfrid Almendra semble vouloir déplacer avec précaution le regard des spectateur·rices dans ce paysage oscillant entre l’imaginaire d’une serre agricole abandonnée et celui d’un jardin anarchique d’une maison ouvrière. Ici, tout semble à la fois dressé et vulnérable. Des fenêtres constituées de fragments usés de verres colorés et de miroirs, des plaques de verre “cathédrale” – échangées à Marseille contre des litres d’huile d’olive – bombées et troubles, elles sont érigées et

scotchées les unes aux autres, piégeant fragilement entre elles des coquelicots sauvages et autres végétaux qui semblent désormais suspendus dans un vent absent. Des fragments de sol en pierre de Bavière – matériau de terrasse pavillonnaire – deviennent les socles de ce qui constitue cette architecture instable, comme un château de cartes où tout pourrait s’effondrer.

Des objets à l’hyperréalisme troublant, réalisés en fonte d’aluminium, sont posés là, à même le sol : les oranges n’ont pas toutes mûri, leurs peaux parfois encore vertes marquent l’état du temps, comme la lumière jaunit le verre ou les auréoles de sueur se dessinent sur le coton blanc d’un débardeur, marquant le fruit du labeur. Des chaussures de travail, des vêtements déposés sur une chaise abandonnée, sont autant d’indices qui évoquent un corps qui s’est absenté. A-t-il quitté la scène pour se reposer ? 

Le corps travailleur s’est volatilisé, remplacé par un oiseau majestueux – arbitre silencieux du temps qui passe, de la hiérarchie des formes, des corps et des objets – assimilée à celle qui déséquilibre nos sociétés – ou encore, de la chorégraphie des lumières qui se chevauchent – entre elles – entre les œuvres – entre les corps et les regards des spectateur·rices – entre les interstices de l’architecture de la Kunsthalle de Lingen.

De la ruine à la récolte, les gestes de Wilfrid Almendra convoquent une force de la modestie, qu’il situe à l’orée de sa pratique d’artiste et d’agriculteur amateur, composant avec ce qui reste, ce qui se transmet sans se dire.

Liza Maignan
Commissaire d’exposition et autrice indépendante

Sonata (détail), 2024. Photo : Nassimo Berthomme. Courtesy : Galerie Ceysson&Bénétière 

Artistes
Dates
7 juin - 17 août 2025
Kunsthalle Lingen

Kaiserstraße 10A, 49809 Lingen (Ems)
Allemagne

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