APRES COUP Irak

Après coup propose un exercice critique de l’actualité en appui sur des événements permettant de révéler certains traits distinctifs du contemporain.

Redacted, de Brian de Palma, sorti sur les écrans en février 2008, et Hammurabi, Hammurabi, de Frédéric Boyer, paru aux éditions P.O.L en janvier 2009, rythmeront l’un et l’autre, l’un avec l’autre, le déroulement d’une discussion consacrée à la guerre en Irak et à sa reprise en fonction des images mouvantes et de l’espace des mots.

La représentation du conflit irakien se caractérise par un apparent paradoxe : d’une part, un principe de rareté qui guide la diffusion, par les canaux d’information télévisuels, des images de la guerre et des attentats innombrables qui l’accompagnent (cette pénurie médiatique marque l’une des grandes différences avec la guerre du Vietnam) ; d’autre part, une présence massive de ces images sur le net, malgré leur dispersion, leur qualité médiocre et leur durée de vie limitée (les vidéos réalisées par les soldats ou les insurgés ne restent parfois que quelques heures sur YouTube). D’un côté, donc, une invisibilité presque complète : nous ne savons pratiquement rien des machines et des corps de la guerre ; de l’autre, une disponibilité extrême, mais précaire, sur les écrans de nos ordinateurs, d’événements qui renvoient aux batailles aussi bien qu’aux temps morts d’un conflit qui dure depuis maintenant six ans.

À partir du film de Brian de Palma et du livre de Frédéric Boyer, nous essaierons d’explorer un certain nombre de problèmes que la situation irakienne et ses conditions audiovisuelles de réception soulèvent pour les artistes et les écrivains qui souhaitent en rendre compte. Problème de la mémoire : de l’amnésie politique organisée par l’administration Bush (le mensonge initial, et la désinformation qui a suivi) – redacted signifiant en français « revu et corrigé » – au rétrécissement d’un savoir historique qui peine à trouver les moyens de sa formulation (d’où, peut-être, le détour par le Département des Antiquités orientales du Louvre, où se trouve le code d’Hammurabi, roi de Babylone, qui régna il y a près de 4000 ans). Problème de la pensée, et de la vitesse de la pensée, en cinéma comme en littérature : accélérations et étirements du temps dans le montage des images, variations et ellipses dans l’enchaînement des phrases, lesquels interrogent nos seuils de perception à un âge où il ne s’agit plus de produire un choc dans la pensée, mais d’engendrer un effet de sidération différé. Problème, enfin, d’une sortie de la querelle des genres : Redacted se présente comme un « faux documentaire », Hammurabi Hammurabi opère un télescopage entre une stèle de Mésopotamie et un hélicoptère Apache : est-ce une fiction, est-ce une archive ? Sans doute le brouillage ordonné des genres n’a de sens que s’il permet corrélativement de déplacer nos évidences sensibles.

BIOGRAPHIES

Frédéric BOYER est écrivain et traducteur. Il est l’auteur de Vaches et d’une nouvelle traduction des Confessions de Saint-Augustin, Les Aveux, parus chez P.O.L en 2008. Il a publié cette année, chez le même éditeur Orphée et Hammurabi Hammurabi.

Dork ZABUNYAN est maître de conférences en études cinématographiques à l’université de Lille 3. Publications récentes : Qu’est-ce que la cinéphilosophie ? (Art Press, novembre 2008), Pourquoi je suis si bête (Critique, novembre 2008), De Franz Kafka à Jack Bauer (Trafic, hiver 2008), De l’indistinction en art et de la possibilité d’en sortir (RiLi, janvier-février 2009), L’image au-delà de l’onde de choc (Art Press, mars 2009), Le nietzschéisme acharné de Michelangelo Antonioni.(Trafic, printemps 2009).