Évènement

Collectif Klat

Lundi 4 février 2002 à 19h

Catherine Francblin entourée des artistes du collectif KLAT, qui présenteront leurs nouveaux projets. Ils tenteront de situer leur travail par rapport à d’autres propositions collectives et expliqueront ce que signifie pour eux « habiter le lieu de l’art sans cesser d’habiter le monde ».

Klat est un groupe de quatre artistes âgés de 24 à 27 ans qui travaillent en collectif à Genève. Leurs interventions sont le plus souvent éphémères et tiennent souvent de la performance. Il y a deux ans, ils ont créé, au Musée d’art moderne et contemporain de Genève, une « fanzinothèque » en s’installant dans de gros cubes habitables en bois dans lesquels ils fabriquaient des fanzines avec l’aide de certains créateurs de bandes dessinées qu’ils avaient invité à les rejoindre.
Autre performance : amenés à assurer la programmation d’un espace d’exposition, ils ont transformé le lieu en salon de tatouage, invitant des tatoueurs professionnels à reproduire sur les client des tatouages originaux imaginés par des artistes.
Toutefois, loin de reproduire des formes de vie relevant du marketing de l’adolescence pour les donner en spectacle, leur travail se présente comme une critique du devenir-marchandise de la « youth culture » et comme un outil permettant de développer d’autres idées, d’autres espaces et d’autres économies de l’art.

Catherine Francblin:
Klat est un groupe de 4 personnes: Seni, Andrea, Constantin et Jérôme. Ils sont tous anciens étudiants de l’école des Beaux-Arts de Genève. La première fois que j’ai vu leur travail, c’était au Mamco où ils avaient installé une «fanzinothèque», des gros cubes dans lesquels ils produisaient des fanzines: j’avais aimé le caractère brut et minimal de ces maisons de poupées géantes, et j’avais aussi été intéréssée par leur dimension de performance.
Dans le cadre des Entretiens sur l’art, j’avais envie de faire une rencontre sur le thème de la performanceparce qu’il y a un retour de la performance, contrairement aux années 80 et 90 qui ont été des années de production d’oeuvres assez encombrantes.Ce qui motive les artistes à faire des performances aujourd’hui est-il proche de ce qui motivait les artistes dans les années 60-70?
La performance au sens d’une oeuvre qui se construit et se transforme dans le temps, est plutôt l’élément d’un ensemble, d’un état d’esprit général, que je voudrais expliciter au cours des entretiens sur l’utopie.
Le groupe Klat travaille en collectif. Ils n’ont pas décidé de former un collectif. C’était une bande de potes: inspirés des années 60, ils reprennent les choses là où d’autres les ont laissées : là est l’utopie.
Si j’ai invité les Klat c’est en raison de ce germe d’utopie contenu dans leur projet: je veux voir comment quelquechose peut émerger ou ne pas émerger.
Dominique Gonzalez-Foerster n’employait pas le mot «utopie» mais «recherche des possibles». Effectivement, celui qui envisage l’utopie l’envisage toujours comme quelquechose de possible.
Dans quelle mesure, votre travail relève-t-il de l’utopie?

Andrea:
Je tiens à dire que je parle pour moi, car nous ne sommes jamais d’accord: on a voulu réaliser ensemble certains projets en confrontant nos idées, et sans jamais oublier nos discordances: au contraire, nous avons voulu exploiter nos différences, même s’il fallait quand même quelquechose de commun pour construire ces projets. L’utopie c’est cette ligne de fuite qui fait converger nos points de vue divergents.

CF: c’est le travail lui-même qui constitue le point de rencontre?

Jérôme: on est souvent en désaccord. Ce qui nous nous intéresse dans un travail c’est la confrontation: on n’essaie pas de contrôler la réception de ce que l’on fait auprès du public.

Andrea: beaucoup du développement de notre travail se fait lors de discussions : c’est par ces constructions, déconstructions, ces critiques que nous aboutissons à une production: mais très souvent il n’en ressort rien: il n’y a pas de rendement.

CF
N’est-ce pas lassant de discuter longtemps sans aboutir à un projet?

Andrea
C’est vrai que parfois nous discutons trop: mais, en fait, on préfère ne pas synthétiser notre pensée de groupe. On nous demande de clarifier sans cesse et synthétiser les choses alors que nous aimerions plutôt compliquer et rendre opaque nos pensées.

CF
Si vous êtes une bande de potes, c’est que vous avez des affinités: sur quels points vous retrouvez-vous, quelles sont vos grandes lignes communes de réflexion?

Jérôme:
Ces lignes de réflexion se sont développées avec le temps: on a partagé beaucoup de choses avant de partager une pratique de l’art. Nous avons ressenti la nécessité de travailler en groupe, pour ce que ça apporte de puissance créatrice, d’autocritique, de confrontations d’idées, etc. On trouve intéressant de confronter nos affinités et nos différences pour la production d’un groupe, c’est-à-dire quelquechose qui ne soit pas identitaire: qu’on ne sache pas qui fait quoi, qui est qui. Pour cette conférence, par exemple, déléguer une personne pour représenter le groupe n’aurait pas été possible, nous devions tous être présents.

Andrea:
C’est notre expérience qui est devenue commune, on est sortis ensemble, on a vécu ensemble et c’est donc maintenant, à postériori, que l’on peut travailler et réfléchir. Ensemble on a un potentiel qu’on n’a pas tout seul. On voulait entrer ensemble dans le monde de l’art.

CF
Vous avez une certaine position par rapport à l’art: quelles sont vos références?

Jérome
Dès 16 ans, on s’est intéressé à l’art, puis nous avons fait les beaux-arts. Notre premier «modèle» a été Julie Ault, du collectif américain Material, qui a enseigné aux beaux-arts.

Andrea
Elle est venue en tant qu’individu, et non pas en représentante d’un collectif: elle nous plongeait dans une histoire ancienne; nous sentions des affinités.

Jerome
Ce qui nous plaisait c’était son discours revendicateur: utiliser l’art comme terrain où on peut dire les vérités qui sont cachées à la société.

Andrea
Elle était toujours très critique par rapport à ses expériences de collectif passées. Elle ne présentait pas quelquechose avec de fortes convictions mais plutôt en posant des questions. Au sein des beaux-arts ça n’a pas été facile de présenter notre projet de fin d’étude en tant que collectif et Julie Ault nous a beaucoup aidés.

Jerome
Le système éducatif refuse le regroupement surtout dans l’enseignement des beaux-arts et notamment en Suisse où c’était une vraie nouveauté de travailler en groupe.

CF
Que signifie Klat?

Andrea:
Pour ce soir, on a décidé de donner l’explication suivante: c’est Talk à l’envers.

Sélection de travaux des Klat sur diapos:

Jérome:
Première diapo: occupation d’un terrain vague en 1997: c’est la première chose publique de Klat: on a occupé un terrain vague pendant 24 heures, en face de la galerie Forde.

Andrea
Le seul lien qu’on avait avec la galerie était le cable d’alimentation électrique: la galerie est restée ouverte pendant les 24 heures; on a seulement déplacé notre quotidien là, et on l’a montré aux visiteurs de la galerie. Le sens qu’on donne maintenant à cette performance n’est peut-être pas le même qu’à l’époque.

CF
Le sens paraît clair: la galerie était vide et vous indiquiez que c’était sur le terrain vague que les choses se passaient. On pourrait vous reprocher de donner à voir votre vie quotidienne comme Loft Story le fait.

Jerome
C’était effectivement une spectacularisation de la vie quotidienne, mais la différence avec Loft Story c’est qu’il n’y a pas de décontextualisation du quotidien dans notre performance: les lofteurs ne sont pas dans leur propore quotidien, mais plutôt dans un quotidien créé de toutes pièces. Pour nous c’était une rampe d’observation de Forde vers nous et de nous vers Forde.

CF
Avez-vous pris des photos, produit des films, commercialisé quelquechose?

Andrea
On a vendu des panini autocollants tels les panini de football. L’espace Forde créé en 93 est un lieu autogéré et indépendant. On a fait une édition d’archives d’images de la performance en panini à coller sur un album.
On s’est approprié l’espace Forde pendant un an et demie: ce lieu est dans un bâtiment qui représente l’histoire de la culture alternative de Genève. On était tous des consommateurs de ce lieu: concerts, ciné, théâtre etc. On avait fréquenté tous ses espaces, sauf celui consacré à l’art contemporain.
Notre première préoccupation concernait le public: il fallait que les gens prennent connaissance de ce lieu. Pour la première expo, nous avons réuni différents tatoueurs: exposition qui présentait l’appropriation du tatouage par les artistes, confrontés aux tatoueurs qui expérimentaient à fond leur pratique.

CF
Il paraît que les écoles des Beaux-Arts produisent beaucoup de tatoueurs. Vous avez aussi fait intervenir des tatoueurs à partir de tatouages imaginés par des artistes reconnus, comme Armleder, Fabrice Gygi: cela pose la question de qui est l’artiste.

Jerome
Quand on nous a proposé le commissariat d’exposition de cet espace, nos connaissances du milieu de l’art étaient proches du néant. On a donc dû se poser les questions: d’où vient-on? Que veut-on montrer? Comment intéresser le public qui ne vient pas régulièrement dans cet espace?

Andrea:
Là, c’est la seule expo où il y a eu des artistes en tant que tels. Par la suite on nous a de plus en plus reproché de ne pas montrer des artistes.
Seconde expo: on a monté un cinéma gore de séries Z: un illustrateur a dessiné le décor du cinéma, que nous avons agrandi. On a ouvert pendant un mois toute la nuit, on offrait des pop-corn et hot-dogs.

Jerome
La façon dont nous avons géré cet espace était polymorphe: on a donné un sens différent à chaque chose: répondre à des manques dans une ville (montrer des artistes qu’on ne montre jamais), et répondre à nos envies, c’était un laboratoire d’expérimentations.
Expo «supérette»: c’était un supermarché de multiples et d’éditions d’artistes qui permettait de répondre au reproche de pas montrer d’artistes. On a présenté pas mal d’éditions de Art Metropole, on a fait jouer tous les réseaux de relations. Tout devait être à vendre, tout devait être achetable.

Andrea
Autre exposition chez Forde: on a voulu montrer la collection du Mamco. On est allé dans les réserves du musée et on a choisi des pièces qui n’avaient jamais été montrées, ou celles qui étaient en total décalage avec l’esprit et l’image post-moderne du Mamco.
Parallèlement nous présentions la fanzinothèque au Mamco: on a fait venir des collections de fanzines, afin de créer une vraie bibliothèque de fanzines, et nous avons également mis en place un atelier de production qui permettait de créer soi-même un fanzine. Ce projet n’a pas bien fonctionné au Mamco: on s’est rendu compte que les gens étaient apeurés en voyant des gens vivre dans un musée.

CF
La performance choque-t-elle les gens?

Jerome:
Pour nous, c’est plutôt une permanence qu’une performance. En fait, le musée n’est pas un lieu de production, mais de stockage. C’était assez agréable de voir que ça ne marchait pas: cela prouvait ce que nous avancions. Nous pensions qu’en investissant les lieux, les gens auraient davantage envie d’agir: mais c’est plutôt l’inverse qui s’est déroulé.

CF
N’avez-vous pas l’impression que vous travaillez dans une voie que l’on connaît? Etendre le champ de la pratique de l’art vers les domaines du quotidien, de la «sous-culture»: faire que cette frontière entre le monde du musée et celui de la rue n’existe plus, cela s’est déjà fait: ce n’est pas un reproche: je vous situe simplement dans un mouvement qui serait celui des avant-gardes.

Andrea
Je n’ai pas l’impression que l’on étende le champ de l’art à ce que l’on fait au quotidien: c’est plutôt l’inverse. On ne cherche pas à nourrir l’art: on cherche à se nourrir nous.

Constantin:
On cherche à persister: on a pas une recherche de quelquechose d’externe à soi, d’un devenir ou d’un futur.
Notre travail est plutôt une expérience collective et libertaire. En fait, cela nous pose problème d’être ici car on préfère évacuer l’art; on s’y connaît de moins en moins en art contemporain.

CF
Vous ne voulez pas vous situer dans le champ de l’art?

Jerome
On s’y situe par la force des choses, mais ce n’est pas un choix. C’est un laboratoire où on peut expérimenter des choses phénoménales. Contenter le milieu de l’art ou le public n’a jamais été un objectif. La performance, par exemple, n’a pas disparu dans les années 80 mais elle a disparu des couches de l’art élitistes.

CF
J’aimerais bien savoir ce que pense Frédéric Roux , l’un des membres du groupe Présence Panchounette, qui est dans la salle…

Frédéric Roux
C’est très génant pour moi de représenter un groupe qui n’existe plus.
Nous avons arrêté notre collectif car nous étions devenus une institution, nous étions devenus repérables sur l’écran radar du système auquel on voulait échapper. Le système est devenu plus adroit, il récupère plus vite ces phénomènes: les réponses des artistes doivent donc être plus fines. L’utopie c’est de travailler ensemble et ce qui distingue Klat de Présence Panchounette, c’est qu’il y a une fille parmi eux. C’est un bon point.

CF
Envisagez-vous d’être représentés par une galerie?

Andrea
Non. Etre représentés par une galerie c’est impossible: nous rentrerions dans un système où il faudrait produire pour une galerie. Or, nous parlons et discutons beaucoup, donc nous produisons peu.

Jerome
Nous n’avons aucune ligne de conduite par rapport aux galeries et aux institutions: nous n’avons pas honte d’avoir bossé avec les uns et les autres.

Frédéric Roux
Ils produisent peu d’objets, mais ils produisent des relations sociales. Donc, ce n’est pas les galeries qui peuvent récupérer leur travail, mais les institutions.

Question dans la salle:
Quelles sont vos idées d’artistes?

Andrea
Nos idées, on les vit au quotidien. Mes idées passent dans ma façon de vivre, de partager. Mes idées c’est mon quotidien: je ne peux pas dire autre chose.

CF
Andrea a expliqué une chose tout à l’heure: «ce qu’on veut c’est déconstruire.» Etre contre un type de construction qui va de soi: est-ce cela vos valeurs, votre morale?

Constantin:
On n’est pas contre: on lutte avec: on essaye de se conserver, on s’unit pour mieux se préserver. On est un collectif contre l’individualisme.

Jerome
On ne donne pas de leçons: on ne dit pas «il faut que tous les artistes se regroupent».
On n’a certainement pas grand chose à vous expliquer ce soir, on est jeunes, on se cherche. Notre pratique n’est pas seulement inscrite dans le milieu de l’art. On ne vit pas de notre art: on travaille toujours à côté: on veut faire des incursions dans ce milieu, mais on ne veut pas être totalement dans le système.

Intervenants

Avec les 4 membres du collectif Klat

Date
Horaire
19h00
Lieu
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre

Prochainement

À l'auditorium 
Mercredi 22 mai 2024 à 19h

Entretiens sur l'art avec Cindy Coutant

Confiés depuis 2021 à la critique et commissaire Jill Gasparina, les « Entretiens sur l’art » qui, depuis plus de 20 ans, dessinent une formidable collection de paroles d’artistes, scruteront désormais avec attention la matérialité et les conditions d'émergence des œuvres des artistes invités.

À la librairie 
Samedi 25 mai 2024 à 17h

Lancement de Pour des écoles d’art féministes ! 

de 15h à 17h, à Bétonsalon
Lancement de l’ouvrage La Part affective (Paraguay Press) de Sophie Orlando et conversation avec Émilie Renard et Elena Lespes Muñoz.

de 17h à 18h30, à la Fondation Pernod Ricard
Lancement de Pour des écoles d’art féministes ! (2024), ouvrage collectif coédité par l’ESACM et Tombolo Presses
avec T*Félixe Kazi-Tani, Gærald Kurdian, Sophie Lapalu, Vinciane Mandrin, Michèle Martel, Sophie Orlando, Clémentine Palluy, Émilie Renard et Liv Schulman.