Évènement

Daniel Buren, Vincent Labaume, Bernard Lallemand Philippe Mayaux, Françoise Quardon

Vendredi 14 septembre 2001 à 19h

Entretiens qui inaugurent le nouveau thème de l’année :

A l’occasion de l’exposition Art-Wall-Sticker Catherine Francblin vous invite à découvrir l’utopie qui a donné naissance au projet Art-wall-sticker.
Art-Wall-Sticker, c’est 15 m² d’art contemporain à géométrie variable, crées par 20 artistes :
Pierre ARDOUVIN – Jean-Pierre BERTRAND – HF BLONDEAU
Anne BREGEAUT – Daniel BUREN – Stéphane CALAIS – Claude CLOSKY
Gérard COLLIN-THIEBAUT – Patrick CORILLON – Paul-Armand GETTE
Vincent LABAUME – Bernard LALLEMAND – Bertrand LAVIER
Philippe MAYAUX – Cyrille MARTIN – Jean-Luc MOULENE
Françoise QUARDON – Santiago REYES – Alain SECHAS – Tatiana TROUVE

Le prix se veut démocratique, pour que tout un chacun puisse se procurer de « l’art à vivre » : 995 francs le coffret.

« Art-Wall-Sticker ou l’art à vivre »

Catherine Francblin :
« Cette année j’aimerais débattre de la question de l’Utopie ; en effet, les artistes aujourd’hui pense de nouveau l’art comme une forme d’utopie. AWS (Art-Wall-Sticker) fait partie de ces « Autres Utopies ». C’est un art avec lequel on pourrait vivre ; l’ambition de nombreux artistes est d’arracher l’art à un certain élitisme, faire que l’on puisse vivre l’art dans sa maison, dans son jardin, au supermarché etc…. »
Le concepteur de ce projet AWS est Gilles Touyard. Une question à toi, Gilles : comment es-tu passé de l’activité d’artiste à celle de chef d’entreprise ?

Gilles Touyard :
« Ce projet est né d’un malaise que je ressens par rapport au monde de l’art : aujourd’hui le contenant absorbe vraiment le contenu. J’ai envie de réintégrer l’art : ce projet est avant tout une démarche d’artiste : j’interroge le contexte de la production d’aujourd’hui.
Je pense que tout fonctionne à l’envers : la critique, par exemple, est un élément moteur dans la carrière d’un artiste ; par conséquent le rapport à la médiatisation de l’art est plus fort que le soulèvement de questions de fond. On médiatise l’art sur de mauvaises raisons. La valeur « Art » se déporte aujourd’hui vers une valeur financière. Il y a des artistes qui deviennent financièrement inaccessibles, et ils se privent ainsi d’un nombre important de personnes, qui pourraient pratiquer cette expérience d’avoir l’art chez eux. Il y a un déficit énorme de collectionneurs, d’où un système ultra-clos.
AWS a commandé à 20 artistes un motif qui prend sens dans sa répétition : il y a une grille technique préalable, qui permet à chaque artiste d’exprimer sa singularité. On arrive à un coffret qui contient le nombre de stickers suffisants à la réalisation d’une oeuvre de 15m². Tous les artistes sont au même prix, ce prix correspond aux frais de production. L’un des intérêts majeurs d’AWS est le contrat de confiance qui s’instaure entre l’artiste et le collectionneur, puisque ce dernier installe lui-même l’oeuvre et celle-ci n’existe donc que par l’intervention du collectionneur. »

CF : c’est quand même une expérience de l’art qui passe par la notion de propriété.

GT : l’avantage est dans la prise de possession , plus que dans la propriété même : si on pouvait distribuer AWS à 1 franc, ce serait encore mieux.

CF : Je voudrais demander aux artistes comment ils ont réagi à la proposition de Gilles.
Daniel Buren, vous avez travaillé sur la question du mur, et proposé des oeuvres vendues à bas prix.
D.Buren : Nous avions effectivement fait avec Toroni, une exposition où les choses étaient vendues ensuite à des prix très bas : les oeuvres étaient vendues au mètre mais personne n’avait acheté : c’était un projet trop utopique. Il y a eu une exposition de Carl André à New York, en 71, à laquelle j’avais été totalement opposé : chaque oeuvre valait 200 $ ; à l’époque je ne croyais pas à ce type de démarche : en effet, à la seconde exposition les gens achetaient par rapport à leurs revenus : un étudiant pouvait acheter à un prix très bas, par conséquent tous les collectionneurs ont envoyé des étudiants acheter les oeuvres : ce projet était trop utopique et correspondait à une société qui n’existe pas.
Dans AWS ce qui est plus juste, c’est qu’il n’y a pas de plus-value possible, car lorsque le collectionneur déménage, il perd l’oeuvre ; il n’y a pas de possibilité de spéculation.
Ce qui est toujours embarrassant c’est quand un projet d’exposition est très proche, très superposable à des choses que j’ai déjà pu faire. La question est : est-ce que participer à une telle entreprise ridiculise ce que j’ai pu faire avant ?
Depuis une quinzaine d’années, il y a beaucoup d’expositions internationales qui ont repris de belles idées. Par exemple, il y a quelques années, l’exposition « Chambres d’amis » reprenait l’idée d’un exposition organisée dans les foyers de particuliers ; cette exposition reprenait exactement les questions que les artistes du monde entier posaient à cette époque et avaient déjà exploré, de façon beaucoup plus percutante. Dans ce cas, si on participe, on se fait « piéger ». J’ai accepté de participer à AWS parce-que ce projet n’est pas une récupération d’idées.

CF : Là, vous parlez d’une récupération par les institutions. Mais AWS se situe hors institutions. Gilles comment te positionnes-tu par rapport à l’institution ?

Gilles : Notre projet a pris forme de façon totalement autonome, grâce au risque financier d’un homme entrepreneur : Medi Besrour.

CF : Françoise Quardon, votre travail est-il concerné par les question économiques mises en évidence par Gilles Touyard ?

F.Quardon : ce qui m’a plu dans ce projet c’est que formellement il tire du côté de la minoration ; pour moi l’oeuvre d’art ne s’approche pas du sublime, elle doit presque disparaître. J’aimais cette idée de statut de l’ornement : qu’est-ce-que que l’ornement ? Il est intéressant d’étudier comment des choses anodines ont une énorme emprise sur la domesticité, sur la vie quotidienne des gens. Le fait que ce projet soit lié à l’habitat était une chose vraiment importante pour moi.
Dans mon travail, je me pose des questions, et à travers mon oeuvre, je les pose aux autres. Mon travail, dans AWS, se définit autour du langage, de la question de l’ornement, de la joliesse, des choses liées au « féminin ». J’avais vraiment envie que mon travail, au final, ressemble à du papier peint, tout en touchant à des questions essentielles comme la fidélité.

CF : Ce qui est frappant dans cette collection, c’est que certains artistes posent les stickers de façon très systématique, alors que vous, Philippe Mayaux, vous êtes resté discret, vous n’avez pas rempli un mur.

P.Mayaux : en effet, je me suis posé la question du « décoratif » ; j’ai beaucoup travaillé le décoratif : quel que soit son travail, l’artiste doit accepter que son oeuvre finira « dans le décor », il doit prendre en compte que son tableau finira sur un mur, dans un salon etc… : ce qui m’intéressait dans AWS, c’était le rapport au « domestique » : les stickers c’est quelque chose qu’on peut regarder longtemps, comme on peut les voir d’un coup d’oeil : il y a une liberté par rapport à cela, car l’oeuvre est disponible au regard. Ce qui m’intéressait aussi c’est le rapport au médium : le sticker c’est un support assez « pop », il n’a pas de valeur artistique. J’ai essayé de faire un travail anti-décoratif. Quand on regarde un papier peint, on recherche toujours une figure, on cherche une bête, et finalement on cherche un oeil, donc un être. Donc pour jouer l’anti papier peint, j’ai fait des motifs à poser à des endroits où il ne devrait rien y avoir, des endroits « oubliés » qui peuvent être révélateurs et que l’on peut pointer par ce système décoratif. C’est l’oeil de la « surveillance », c’est un papier peint « moral ». Cela m’intéressait de voir comment un motif peut rendre coupable.

Vincent Labaume : Ce qui m’a intéressé d’abord, c’est la vraie démarche d’artiste : le concepteur c’est Touyard, et l’artiste de l’exposition c’est lui : nous ne sommes que ses fournisseurs. C’était très confortable : AWS nous a commandé un motif, qu’il a fallu répéter et Gilles s’est occupé du reste. AWS répond à l’idée de réaliser des produits, et non pas des oeuvres. Fidel Castro a dit une chose : « nous n’avons plus besoin d’idées, nous avons besoin de produits ». La dimension « produit » est très contemporaine, et si l’art ne veut pas être marginalisé, être simplement « décorateur », il doit affronter cela. Il s’agissait là de produire des produits et même des « sous-produits » : l’artiste doit anticiper les « sous-produits» qu’il va engendrer. Un produit est plus authentique qu’une oeuvre d’art, par le rapport privilégié qu’il entretient avec la société.

Bernard lallemand : Le fait que la proposition soit venue d’un artiste était un élément très important. Je ne me suis pas soucié du décoratif, mais j’ai travaillé sur l’idée de la répétition car elle fait sens pour moi. J’ai choisi de partir sur l’idée de la signalétique, du symbole architectural, et j’ai créé une représentation du corps vu du dessus. Le passage à l’auto-collant ne m’a posé aucun problème, au contraire cela m’a donné une ouverture supplémentaire.

CF : il y a une cohérence dans vos propos par rapport à l’idée de la « désublimation » : les artistes sont toujours obligés de rappeler que les oeuvres sont des « produits », ils essaient de revenir à une réalité de l’art, et ils veulent prendre eux-mêmes les choses en main.

Christophe Kihm : Ce qui m’a intéressé dans AWS, c’est que c’est un projet d’artiste ET d’entreprise : un travail d’artiste, non pas sur une entreprise, mais un travail qui crée une entreprise, nécessitant la production d’oeuvres par d’autres artistes. La notion de « produit » est effectivement une dimension fondamentale dans AWS. La question c’est : dans quelle mesure une oeuvre devient-elle un produit ? Est-ce que les AWS ne sont pas des produits un peu particuliers, tout de même ? .

PM : Est-ce-que le fait de répéter l’oeuvre lui fait perdre du sens ? Je ne le pense pas. L’oeuvre unique, comme un tableau, reste un produit « égoïste » puisqu’elle n’appartient qu’à une personne. Le fait de produire en masse ne nuit pas au sens de l’oeuvre.

D.Buren : pendant très longtemps, quand je parlais de mon travail je parlais de « produit », mais paradoxalement, chacune de mes éditions était unique. La montée du prix d’une oeuvre pose un vrai problème aujourd’hui : les artistes de ma génération, eux, ne créaient pas pour de l’argent. C’est à cause de ce malaise que le prix des AWS a été volontairement modeste. Le prix fait partie du jeu. Mais je me méfie beaucoup des produits dérivés d’oeuvres : un produit dérivé est viable si il est fait par quelqu’un de façon consciente.

V.Labaume : L’oeuvre n’est plus pertinente aujourd’hui car elle ne se confronte pas à la société, comme le fait un produit. Elle doit donc s’y confronter… en la dépassant, bien sûr, sinon l’artiste est convoqué à sa propre caricature. Un produit c’est quelque chose de très large : c’est une sorte de marketing enveloppant, il se propage de manière virale. Une oeuvre, elle, résiste à cette propagation : elle va la chercher, pour la concentrer et enfin la figer.

BL : AWS : une utopie ou une réalité ? Pour moi c’est une réalité et elle s’adresse aux jeunes de la classe moyenne, qui aimeraient devenir collectionneurs mais qui n’en ont pas encore les moyens. Et donc ce n’est pas encore une vraie utopie car AWS, pour moi, ne s’adresse pas aux couches plus populaires.

CF : Gilles serait-ce envisageable de distribuer AWS à La Redoute par exemple ?

GT : Oui, bien sûr, le but d’AWS est de mettre l’art à disposition du plus grand nombre.

PM : Le prix est un facteur psychologique très important pour un consommateur : si une personne achète une oeuvre bon marché, il ne fait pas de sacrifice. Or le consommateur a besoin de faire ce sacrifice. L’art est une sorte de psychanalyse, et il faut payer pour cela.
A quel point on peut payer cette idée de sacrifice : que peut sacrifier une personne pour acheter une oeuvre ? Le fait de payer juste 100 F, dégrade l’objet aux yeux de la personne.

K : pour ce qui est d’AWS, cette structure est plus proche de ce qui se passe en dehors de l’art, que dedans. Les structures associatives, par exemple, ont le but d’exposer, de débattre, mais pas du tout de produire. AWS, en tant que structure de production, va affronter le problème de la diffusion : AWS doit rentrer dans une économie de marché, pour pouvoir être diffusé et pour perdurer. AWS doit donc trouver un canal de diffusion faisant partie de l’économie de marché et non pas le canal de diffusion du marché de l’art.

CF : Est-ce que ces oeuvres s’adressent à des collectionneurs ?

VL : Le collectionneur c’est celui qui va dicter la destination de l’oeuvre : il est là pour imposer sa loi ; le collectionneur a peur de l’art, mais il a de l’argent. Le collectionneur c’est le seul ennemi. Le consommateur, lui n’est pas un collectionneur.
Le milieu de l’art est devenu peu à peu, un lieu où n’importe quelle pratique trouvait un débouché, et surtout les pratiques qui ne trouvaient pas de débouchés ailleurs. Ce qui ne passait pas dans la société passait dans l’art. Si la pratique était à ce point déviante qu’elle n’était plus acceptée, elle devenait acceptable dans le monde de l’art.
AWS lui, veut pénétrer dans la société : ce projet constitue une vrai remise en question..

Intervenants

Gilles Touyard
Christophe Kihm

Date
Horaire
19h00
Lieu
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre

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