Évènement

Dominique Gonzalez-Foerster

Jeudi 25 octobre 2001 à 19h

Comment l’art peut transformer nos espaces de vie ?

Dans le cadre des « entretiens sur l’art », organisés par l’Espace Paul Ricard
le 25 octobre prochain, Catherine Francblin propose une discussion sur le thème :

« Autres utopies 2 : Changement de climat dans l’espace quotidien »
ou comment l’art peut transformer nos espaces de vie.

Catherine Francblin sera entourée de l’artiste Dominique Gonzalez-Foerster,
qui a aménagé la station de métro Bonne Nouvelle en station du cinéma et de
Philippe Rahm, architecte.

Catherine Francblin :

Avant de commencer je voudrais rappeler que nous avons démarré cette année une série d’entretiens sur le thème de l’utopie : en septembre nous avons réalisé un débat sur l’entreprise AWS créée par l’artiste Gilles Touyard. Pourquoi avons-nous commencé avec AWS ? Parce-que Gilles Touyard avait envie de créer une nouvelle situation à la fois, pour les artistes et pour le public, situation qu’il appelle une « démocratisaiton de l’art ».
Les questions que j’aimerais aborder à travers le thème de l’utopie, vont mettre en évidence des oeuvres qui envisagent de manière particulière la question de l’espace social. La notion d’utopie touche aux productions artistiques dans la mesure où elles ont à voir avec une forme de résistance aux structures sociales établies.
L’art peut transformer la réalité par un ensemble de sons, d’images, et ainsi l’utopie peut être comprise comme une liberté d’expérimenter une série de situations nouvelles. L’utopie et l’art ont ceci de commun qu’ils disent « c’est possible ici et maintenant ».

L’occasion de ce débat m’a été donnée par l’aménagement de la station Bonne Nouvelle par Dominique Gonzalez-Foerster.
Le travail de D.G.F. présente différents aspects : c’est une oeuvre que nous avons vu grandir et s’affirmer.
Elle nous propose une expérience du décalage : les « chambres », espaces transformés par la technologie et qui à leur tour nous transforment, sont des expériences décalées qui créent une ouverture dans le réel. Pour moi, cette ouverture est l’utopie.
L’évolution de son travail à partir de « Une chambre en ville » en 1996, montre l’intérêt de D.G.F. pour la ville. Nous voyons sur cette diapo une image de l’oeuvre présentée au Consortium de Dijon : là la ville est reconstruite, réimaginée. Dans cette oeuvre, il y a une sorte d’aboutissement, un concentré des ingrédients qui font la qualité des oeuvres de D.G.F., qualité d’esthétique très calculée, avec une dimension onirique très forte.
La station Bonne Nouvelle, sans l’oeuvre de Dominique, est grise et poussiéreuse,comme les autres, et c’est contre cette réalite-là que s’inscrit le travail de DGF.
Dominique, quelles ont été les idées qui ont présidé à cette installation ? L’aménagement de cette station est-il le fruit d’une envie de changer le quotidien ?

DGF
En 1998, avec Caroline Bourgeois, et le revue Purple, nous avons répondu à un concours de la RATP « 9 stations pour un centenaire » où, à chaque station était assigné un thème : à Bonne Nouvelle, le thème était le cinéma, du fait de sa proximité avec le Grand Rex.
Le croisement des axes cinema – architecture est fondamental pour moi : il y a peu de croisements entre une image à deux dimensions et un espace à trois dimensions. Il y a peu de combinaisons d’un espace et d’une image. Tout l’intérêt de la question c’était de croiser l’architecture et le cinéma, mais aussi l’histoire du transport, du déplacement qui colle très bien à l’histoire du cinéma. On a évacué tout ce qui pouvait être illustration (la silhouette de Charlot, par exemple).
Trouver un rapport entre les images et l’espace, faire des va et vient entre cette station et un film qui serait montré dans cette station. Dans le film on verrait la station, et dans la station on sentirait la possibilité d’un film, on aurait des sensations de cinéma. Nous avons créé un montage aléatoire pour le film . Nous ne voulions surtout pas d’art dans le métro, surtout pas une oeuvre qui se poserait comme objet, comme présence finie, au contraire, nous voulions une chose qui jouerait du format du lieu, à laquelle serait attaché le langage du lieu. Nous avons listé toutes les dimensions du langage de ce lieu, et nous avons essayé de rentrer dans chacune de ces dimensions. Chaque proposition est articulée autour d’un élément de la station : il n’y a pas d’art dans la station, pas d’objet extérieur qui aurait son autonomie. Il y a un dialogue avec tout ce qui fait la station.
Après ce rapport écran/espace, l’élément le plus important était la lumière : comment une autre lumière pousse l’individu à changer son comportement .
Une fois que le concours a été gagné, nous avons mis au point une guirlande lumineuse, soit un « bandeau cinéma » selon le vocabulaire de la RATP. Ce bandeau devait être quelquechose de flottant qui ne soit pas dans la linéarité habituelle. Ce bandeau permet d’assembler les globes de couleurs qui rappelle l’ambiance d’une fête foraine et les projecteurs qui participent à l’idée du cinema.

L’utopie est un mot qui ne me parle pas : je parle plutôt « d’espaces potentiels », j’aime bien ce qui est expérimental, or l’utopie est un terme qui évoque des choses trop lointaines, contrairement aux espaces potentiels qui eux, sont très ancrés dans la réalité.
J’essaie toujours d’utiliser ce dont je dispose dans le contexte donné, je ne vais pas vers l’impossible, j’utilise ce qui est latent dans un environnement, je rentre dans le langage d’un terrain, dans l’acquisition progressive du vocabulaire d’un lieu.

A Bonne Nouvelle, on prend conscience petit à petit qu’il y a des éléments « d’art » : celui-ci imbibe l’espace, sans pour autant s’imposer.
Par exemple, derrière une bouche d’aération, on a placé un très fort projecteur de lumière pour faire croire que le soleil est derrière celui-ci et les globes créent une ambiance colorée absolument nécessaire.
Les écrans sont dans le bandeau lumineux, dans les panneaux d’affichage, et il y a tout une série d’écrans incrustés un peu partout, qui créent une surprise et poussent l’individu à adopter une autre position: l’idée que certaines transformations peuvent amener une autre façon de bouger dans l’espace. Amener une autre posture, un autre déplacement dans l’espace est aussi important qu’un changement dans l’architecture.

CF :
Philippe Rahm est architecte, il s’intéresse à notre habitat, et contrairement à l’ensemble des architectes qui s’intéressent à des choses très monumentales, il travaille sur les données invisibles de l’espace, comme la lumière, la création de champs électromagnétiques, qui transforment nos états d’âme, et donc nos comportements. Quelle est votre vision du travail de DGF à la station Bonne Nouvelle ?

Philippe Rahm :
Dans le travail de Dominique, on part sur des idées de choses qui sont là en place, qui nous entourent : on place l’architecture, dans la relation entre notre corps et les choses qui nous entourent. La question qui nous préocupe est de savoir de quelle maniere notre corps est touché par l’environnement.
Hegel situait l’architecture au plus bas niveau de l’art, car conditionné par l’apesanteur et les conditions extérieures. Dans la transformation de l’art chez Hegel il y a l’idée d’abstraction , de dématérialisation. Pour nous, cette volonté de grandir les échelons de l’art était toujours là dans l’architecture. Dans le travail de l’architecture il y a toujours l’idée de la dématérialisation, des choses évanescentes.
Or, nous, nous avons pris le parti de travailler avec les conditions premières de l’architecture, la météo, l’apesanteur, tout ce qui conditionne le corps et tenté de comprendre quelles sont les relations physiques entre la matière et l’environnement, le corps et la matière, l’air et la lumière.

Nous avons travaillé sur les relations du corps et de la lumière. Nous voulions modifier les fonctions de la lumière : la lumière est utilisée pour éclairer, or il y a peut-être d’autres types de relations possibles, avec cette lumière.
Pour l’exposition nationale (Suisse), le projet c’était de concevoir d’immenses salles de lumière .De salle en salle on appauvrissait le spectre de la lumière, et la lumière devenait de plus en plus fade, pour arriver à la dernière salle où il y avait une lumière violette. Là, on dépassait le moment visible, avec l’ultra-violet, où c’est la peau, et non plus les yeux, qui est en relation avec cette lumière. Il y a des phénomènes physiologiques qui se mettent alors en place.

CF : comment situez-vous votre travail par rapport à celui de Dan Flavin, qui a produit des choses relativement proches des vôtres ?

PR : on retrouve des recherches qui ont été faites dans les années soixante, qui étudiaient certaines relations au corps, mais ils travaillaient à un niveau psychanalytique, qui ne s’appuyait pas sur des phénomènes scientifiques. Nous cherchons plutôt la manière de comprendre de quelle manière on habite l’espace, ce sont des idées qui se développent de plus en plus, parce-que les technologies d’aujourd’hui modifient énormément le monde.

Les téléphones portables ont multiplié cette idée de géographie électromagnétique ; en France, par exemple, il y a des régions non couvertes par les réseaux mobiles, et le gouvernement se voit contraint de faire un aménagement du territoire des réseaux qui participe donc du domaine de l’invisible. La pièce de DGF met en question ces problematiques là. Nous travaillons en tant qu’architecte sur la manière de travailler cette matière là.

DGF :
J’admire la version plus analytique de Philippe : on se rejoint dans l’importance des perceptions. Pour « une chambre en ville » ce que je visualise c’est les rapports entre l’intérieur et l’extérieur. Nos perceptions de l’espace sont conditionnés par les technologies ; moi j’ai une vision moins scientifique, mais j’ai toujours essayé dans mes travaux d’avoir une conscience, une reflexion poussée sur les mêmes problématiques que Philippe.

PR : Les climats proches d’un téléphone fixe et d’un portable sont très différents. Le fixe est relié à des fils, à des choses à terre, alors que le portable crée un environnement électromagnétique, qui est donc très différent de l’environnement d’un fixe.

DGF : Je pense qu’il y a une dimension de recherche évidente, dans nos travaux d’artiste. J’aime l’idée qu’on puisse poser les choses non seulement dans un champ esthétique mais également scientifique.

PR :
Deux pièces que nous avons présentées au MOMA à San Francisco en début d’année, intitulées « Melatonin Room » sur les nouvelles technologies. C’est un travail de simulation hormonale : une volonté de travailler sur la création d’espaces en supprimant tout élément visuel, en ne s’adressant plus aux yeux mais au corps. Nous partions de travaux scientifiques : les chercheurs ont montré qu’il existe une hormone, la mélatonine, liée à la fatigue, elle est sécrétée le soir, et elle peut être artificiellement bloquée par l’exposition à une lumière très intensive.
Ainsi, nous avions créé une chambre liée au sommeil et une autre liée à l’éveil, par le jeu des lumières. On redécouvrait le sens des couleurs par rapport à leurs relations au corps.

CF : Votre travail a un effet curatif.

PR : Dans ces pièces il y a plutôt un questionnement : pouvons-nous domestiquer, manipuler l’être humain ? Ces pièces induisent un comportement : elles ne sont pas « thérapeutiques », mais plutôt expérimentales, et c’est là que ma démarche se rapproche vraiment d’un travail artistique.

CF : Dans l’exposition « Traversées », qui a lieu en ce moment à l’ARC, vous présentez deux chambres peintes avec une peinture Placebo.

PR :
Le placebo est prescrit par les médecins alors qu’ils savent que le médicament ne contient rien, néanmoins il a un effet réel, scientifiquement mesuré. En fait, il y a stimulation de la produciton d’endogènes, grâce au placebo : il y a une réactivation physiologique grâce à l’imaginaire. Ce qui est intéressant dans ce phénomène, c’est la part de liberté individuelle dans la prise de ce médicament.
Donc, on a pris de la peinture industrielle, l’une parfumée de gingembre, et l’autre parfumée à la fleur d’oranger. Ainsi la première chambre serait une chambre érotique, et la seconde une chambre relaxante. C’est une nouvelle forme de qualification de l’espace.

DGF :
Je voudrais qu’on aboutisse non tant à des oeuvres, qu’à des logiciels, des systemes, des choses pour produire des oeuvres. J’aime bien l’idée que l’art du futur soit orienté vers ces choses de la multiperception : ne pas utiliser uniquement le visuel, mais réintégrer toutes les dimensions (son, toucher, etc….). J’ai tendance à penser que c’est la bonne direction : on tient compte de tout ce que l’on perçoit.
Plus on se familiarisera avec toutes ces perceptions, plus on pourra produire des espaces qui mettront en évidence d’autres dimensions que la géometrie classique. Il y a chez moi des aspects plus narratifs que chez Philippe, mais en même temps j’ai essayé de travailler dans le domaine des perceptions multiples : essayer de s’approcher d’un langage non verbal, d’explorer les articulations entre différents éléments, différentes perceptions.

CF : On voit dans vos travaux une chose qui vous concerne tous les deux : cette tendance à sortir de vote champ d’activité (DGF va vers le cinema, PR, vers le champ de la bio-technologie).

DGF : Le travail est un espace social en lui-même, c’est une investigation sociale.
C’est une évidence d’aujoud’hui de penser qu’un artiste crée seul. Or, quand on retrace n’importe quel projet, on constate que rien n’est fait seul. C’est un comportement occidental de vouloir faire signer par un seul nom, une oeuvre, un travail.
Aujourd’hui, on doit penser l’identité autrement, la notion d’auteur va évoluer. Aujourd’hui elle est beaucoup trop stricte.

Intervenants

Philippe Rahm

Date
Horaire
19h00
Lieu
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre

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