Évènement

Joëlle Tuerlinckx

Mardi 23 octobre 2018 à 19h

Nous poursuivons cette année nos Entretiens sur l’art selon le même principe : arpenter le champ élargi d’une pratique par ses bords, inviter ainsi les artistes à nous en dévoiler le hors-champ. Or, les notions de bord et de hors-champ prennent d’emblée un tour significatif avec notre première invitée de la saison, l’artiste belge Joëlle Tuerlinckx. Ses deux derniers projets en cours, l’un au Centre international d’art et du paysage sur l’Île-de-Vassière et le second à la Dia:Beacon à New York, en sont un parfait exemple.

L’artiste commence toujours un projet par l’observation précise des espaces où il prendra place. Or, « le meilleur point de vue pour voir un espace, ce sont ses bords, non le centre », précise-t-elle. Tuerlinckx arpenteuse et flâneuse, un peu paléontologue, fait penser à une géomètre sans mètre qui voit ce que personne ne voit.

La Constellation du peut-être à Vassivière fait éclater la configuration centrée du site en se déployant en grande partie à l’extérieur du bâtiment d’Aldo Rossi et Xavier Fabre. Celui-ci, signalé par une marque au sol jaune fluo, est ironiquement dénommé Aldo ou le Point zéro : l’artiste fait de cette architecture narrative comme de sa position dominante sur l’île le « point zéro » de son projet. Dans le bois, les champs et même dans le lac, elle a essaimé de discrètes œuvres qui constituent autant de points de vue sur une situation particulière. En invitant le visiteur à une promenade-chasse au trésor, elle associe critique institutionnelle et jeu de loisir.

Cette Constellation est parfaitement représentative d’une façon de travailler – penser à la fois l’œuvre et son lieu – qui amène le plus souvent l’artiste « à retourner la situation comme un gant ». Pour Tuerlinckx, une production ne consiste pas en un objet fini qu’on pose dans un espace-réceptacle, elle est toujours liée à une situation qui lui préexiste : un lieu, une institution, le musée ou une galerie, un espace mais également un temps spécifique, celui de l’exposition. Ainsi, s’intéresse-t-elle au Moment d’exposition en tant que Moment d’espace[1] qui se vit et se découvre par la marche. L’artiste n’oublie bien évidemment pas le personnage-clé de l’art, le regardeur-spectateur, corps et œil mobiles qui constituent l’œuvre exposée en Présent absolument[2].

À la Dia:Beacon à New-York, elle vient de réaliser la performance That’s it ! et un film, dans le même temps. Le projet, comme l’illustre le dessin en exergue à ce texte de présentation, est porté par la question du champ et du hors-champ. Le visiteur de la Dia entrait dans le champ d’une réalisation et d’une représentation conçue comme une machine de vision.

Le hors-champ nous mène donc au cœur de l’art de Tuerlinckx qui articule l’atelier, l’exposition, la réalité, ou le travail, le langage, le monde ainsi que l’énonce visuellement, à la manière de la poésie concrète, le titre de sa trilogie rétrospective : WOR(L)(D)(K) IN PROGRESS ? Les parenthèses, déplacées à chaque exposition, accentuent l’un ou l’autre mot[3]. Les césures qu’elles marquent reflètent une dynamique rythmée, une énergie : l’art.

Tuerlinckx sollicite des régimes de perception très variés, auxquels elle donne forme, des formes précises, stratifiées et mouvantes. Conceptuel et sensible, son art est ancré dans le présent, un présent composé et constellé de peut-être. Il implique un monde durable qui le précède et continuera après lui car, comme l’artiste le dit en citant Serge Daney : « Le spectacle est toujours déjà commencé ».

BIOGRAPHIE

Joëlle Tuerlinckx est représentée par la Galerie Nagel Daxter en Allemagne et la Galerie nächst St. Stephan Rosemarie Schwarzwälder en Autriche.

Actuellement, le Centre international d’art et du paysage à Vassivière accueille La Constellation du peut-être, et l’artiste vient de réaliser le projet That’s it ! à la Dia:Beacon à New York.

Parmi ses expositions monographiques dans d’importants musées et institutions internationaux, nous citerons : Kunstmuseum Basel/Museum für Gegenwartskunst, Suisse (2016) ; Haus der Kunst, Munich, Allemagne (2013) ; Arnolfini, Bristol, Royaume-Uni (2013) ; Wiels Centre d’Art Contemporain, Bruxelles, Belgique (2012) ; Reina Sofia, Palacio de Cristal, Madrid, Espagne (2009) ; Drawing Center, New York City, New York (2006) ; MAMCO, Genève, Suisse (2004) ; The Renaissance Society, Chicago, Illinois (2003) ; Bonnefantenmuseum, Maastricht, Pays-bas (2001) ; Frac Champagne-Ardenne, France (1999), Witte de With, Rotterdam, Pays-Bas (1994).

Joëlle Tuerlinckx a participé à Manifesta 10 à Saint-Petersburg, en Russie en 2014 ; à Manifesta 3 à Ljubljana, Slovenia en 2003 ; à la documenta 11 à Kassel, en Allemagne en 2002. Elle faisait également partie de l’exposition « Skulptur Projekte Muenster » en 2017.


[1] Plusieurs expositions, conférences ou livres de l’artiste portent le titre « Moment ».

[2] Le Présent Absolument est le titre d’une exposition à la Galerie nächst St. Stephan Rosemarie Schwarzwälder à Vienne (26.04.08 – 28.06.08)

[3] WOR(LD)K IN PROGRESS ? (Wiels, Bruxelles, 2012), WORLD(K)IN PROGRESS ? (Haus der Kunst, Munich, 2013-14), WOR(L)D(K) IN PROGRESS ? (Arnolfini, Bristol, 2013).

Intervenants

Joëlle Tuerlinckx

Date
Horaire
19h00
Lieu
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre
JOELLE TUERLINCKX
JOELLE TUERLINCKX
JOELLE TUERLINCKX
JOELLE TUERLINCKX

Prochainement

À l'auditorium 
Mercredi 22 mai 2024 à 19h

Entretiens sur l'art avec Cindy Coutant

Confiés depuis 2021 à la critique et commissaire Jill Gasparina, les « Entretiens sur l’art » qui, depuis plus de 20 ans, dessinent une formidable collection de paroles d’artistes, scruteront désormais avec attention la matérialité et les conditions d'émergence des œuvres des artistes invités.

À la librairie 
Samedi 25 mai 2024 à 17h

Lancement de Pour des écoles d’art féministes ! 

de 15h à 17h, à Bétonsalon
Lancement de l’ouvrage La Part affective (Paraguay Press) de Sophie Orlando et conversation avec Émilie Renard et Elena Lespes Muñoz.

de 17h à 18h30, à la Fondation Pernod Ricard
Lancement de Pour des écoles d’art féministes ! (2024), ouvrage collectif coédité par l’ESACM et Tombolo Presses
avec T*Félixe Kazi-Tani, Gærald Kurdian, Sophie Lapalu, Vinciane Mandrin, Michèle Martel, Sophie Orlando, Clémentine Palluy, Émilie Renard et Liv Schulman.