Évènement

Pierre Leguillon

Mercredi 30 octobre 2002 à 19h

Impossible de définir d’un mot le travail de Pierre Leguillon. Ses activités sont multiples : il est tour à tour éditeur (pendant des années il a publié Sommaire), critique d’art (il écrit régulièrement dans Purple), photographe, commissaire d’expositions, enseignant.

Son activité la plus originale est toutefois celle de « diaporamiste ». Qu’est-ce qu’un « diaporamiste » ? Quelqu’un qui raconte une histoire, tient un discours, livre une expérience à travers une projection de diapositives. Tout a commencé, pour Pierre Leguillon, comme pour beaucoup de conférenciers : en projetant des images destinées à appuyer un point de vue sur des oeuvres et des expositions qui lui tenaient à coeur. Aujourd’hui, les images ont rendu la parole superflue : c’est de leur enchaînement seul, selon une forme quasi cinématographique, que surgit le sens des oeuvres présentées.
Tel un marionnettiste, Pierre Leguillon organise des séances de diaporama en se déplaçant avec son matériel d’un lieu à l’autre. Chaque séance est particulière. Ainsi, la dernière en date offrait la possibilité d’assister à la projection au cours d’une croisière sur le lac de Vassivière-en-Limousin. Invité par Catherine Francblin à s’expliquer sur sa passion des images, il a imaginé un nouveau dispositif semblable à une séance de prestidigitation. L’historienne d’art Patricia Falguières y tiendra le rôle de la voyante, Catherine Francblin celui de Madame Loyale, tandis que Pierre Leguillon jouera l’escamoteur. Le public sera également amené à participer au jeu.

Catherine Francblin : Avec Patricia Falguières et Pierre Leguillon, nous vous proposons d’aller au diaporama, en guise de huitième entretien sur l’art sur le thème de l’utopie. Un diaporama tout le monde sait ce que c’est, mais qu’est-ce qu’un diaporamiste ?
Un diaporamiste, c’est l’activité la plus originale de Pierre Leguillon. Mais il est également éditeur. En 1992, il produisait « Sommaire », une revue dans laquelle intervenaient des artistes, des critiques d’art… à chaque fois donné à une seule personne. Il a aussi coordonné un numéro spécial d’Art Press intitulé « Oublier l’exposition » et il écrit régulièrement une rubrique dans Purple, « Calme plat ». Il est également critique d’art, membre de l’AICA (Association Internationale des Critiques d’Art), photographe, enseignant et commissaire d’exposition (exposition de Raymond Hains, avec Nathalie Ergino, à Reims).
Patricia Falguières, normalienne, enseignante à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) et à l’Ecole des beaux-arts de Bordeaux, a publié de nombreux textes sur l’art contemporain. Dans un article paru dans « Oublier l’exposition », intitulé « L’exposition immatérielle », elle défend les expositions d’art conceptuel contre l’idée qu’elles ne donnent pas suffisamment à voir, en mettant en évidence que le statut même de l’oeuvre d’art fait que ce qu’il y a à voir réside plus dans la mémoire, les écrits, les archives… Dans un premier temps, je vais interroger Pierre Leguillon sur une partie des 40 diaporamas qu’il a réalisés depuis 1993. Nous aurons ainsi une idée de ce qu’est un diaporama aujourd’hui, sur le type de réflexion qu’il engage sur l’image, l’exposition ou l’oeuvre d’art aujourd’hui. Dans un deuxième temps, nous irons de façon indirecte au diaporama, à travers le regard et la perception particulière de Patricia Falguières qui jouera ainsi le rôle de « voyante ».

CF : Le premier diaporama a lieu le 23 Mars 1993 à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, pourquoi as-tu choisi ce lieu prestigieux de l’enseignement de l’art ? comment l’idée est-elle née ?

Pierre Leguillon : Je voudrais d’abord précisé que je n’ai pas inventé le terme « diaporamiste », j’ai trouvé récemment sur Internet des sites de diaporamistes. À l’origine, je ne pensais pas faire des diaporamas, j’étais invité à donner des conférences, comme à l’Ecole des Beaux-Arts, que j’illustrais par des photos que je produisais moi-même. Je parlais d’expositions que j’avais vues et à l’époque chaque séquence était consacrée à un artiste… Je revendiquais le statut documentaire du diaporama, c’était informatif, discursif, et chaque exposition était assez détaillée. Avec le temps, j’ai décidé de me taire.

CF : Mais quelle était alors la différence avec une conférence ?

PL : Il était important pour moi de projeter des images d’une qualité différente de celles diffusées généralement dans les conférences d’historiens d’art. Dans une conférence, une oeuvre est désignée par une photographie qui serait « objective », c’est-à-dire respectant un point de vue frontal et très souvent, où l’espace est déformé par l’usage d’un objectif grand angle. J’essayais, au contraire, de montrer le travail du même artiste, avec plusieurs photographies de la même oeuvre, et dans différents contextes : une galerie, un musée, un lieu privé, dans la nature ou dans la ville. Les séquences ne donnaient jamais au spectateur une seule vue de la même oeuvre, mais plusieurs images (gros plan, vue d’ensemble…). Je crois que j’essaie ainsi de mesurer la distance qui existe entre moi et l’oeuvre et de faire en sorte que le spectateur du diaporama se mesure à son tour à cette distance.

CF : Tu as présenté de nombreux diaporamas dans des écoles d’art mais te souviens-tu de lieux, plus importants que d’autres, à tes yeux ?

PL : En ce qui concerne les lieux de projection du diaporama, ce qui m’intéresse c’est de partager un espace de dialogue, ce qui se passe plus facilement dans les écoles d’art. Mais j’adapte toujours le diaporama au public et au lieu qui m’accueille, Ainsi au centre d’art de Vassivière, le diaporama était projeté la nuit sur un bateau naviguant sur le lac.

CF : Quelle était la différence de réception d’un public de croisière et celui d’une école des beaux-arts ?

PL : Le diaporama a toujours une forme assez didactique mais les spectateurs le perçoivent de manière différente. À Vassivière, j’ai projeté un diaporama spécifique, construit à partir d’images envoyées par les visiteurs du centre d’art. Je me suis ainsi rendu compte que la lecture du diaporama était différente entre ce public et les personnes du milieu de l’art présentes. Cela m’a aussi permis de m’interroger sur la place toujours plus grande de la pédagogie aujourd’hui dans les musées et les centres d’art, qui contrôlent et conditionnent le regard des visiteurs. Avec par exemple ce qu’on appelle des « cartels étendus » ou bien ces textes, à l’entrée des expositions, qui expliquent l’oeuvre avant même que le spectateur l’ait vue. Avec le diaporama de Vassivière, dont le générique d’introduction mentionnait « Retour à l’envoyeur », le centre d’art avait une vision différente de la perception de ses visiteurs, à travers des images incontrôlables et parfois très inattendues.

CF : Le diaporama se construit par un système de montage. Chaque diaporama est différent, mais comment évolue t-il ?

PL : Le diaporama se transforme. Aujourd’hui il dure environ 1h00 et compte 300 images. Les diapositives ont l’avantage de me permettre d’en ajouter, d’en enlever au dernier moment, et donc de modifier le montage. Je trouve important de « contextualiser » chaque fois la projection. Par exemple au Muséum d’Histoire naturelle de Nantes, le diaporama était axé autour de la forme du diorama, une vitrine où les objets sont gelés dans un instantané mais qui donne l’illusion de l’espace. J’avais aussi volontairement fait référence à des artistes de Nantes ou des expositions qui s’étaient déroulées dans la région. J’essaie par ailleurs d’adapter systématiquement le diaporama au pays dans lequel je me trouve afin que les spectateurs aient eu la possibilité de voir au moins une des expositions représentées.

CF : Réalises-tu aussi des diaporamas thématiques ?

PL : Non, même s’il existe des séquences fixes, des « interludes » qui restent dans le diaporama depuis quelques années. Le montage évolue très lentement. Cela me demande du temps et peut être influencé par une lecture, une rencontre, ou une réaction du public qui va me faire articuler les images autrement la fois suivante. J’ajoute aussi des images puisque je continue à prendre des photos. Par exemple, lors d’une projection au cinéma le Balzac, j’avais ajouté une séquence sur la représentation du milieu de l’art parisien aujourd’hui. Je ne l’ai naturellement pas montré à Amsterdam car la séquence restait très spécifique à Paris.

CF : Si le diaporama est proche du cinéma, à l’heure des superproductions vidéo d’artistes comme Matthew Barney, il semble porter l’esprit des années 70, avec un matériel assez archaïque, le format ancien et peu ordinaire des diapositives que tu utilises. Y aurait-il aussi une recherche de l’économie ?

PL : Il y a effectivement une recherche d’économie dans la mesure où le diaporama est auto-produit, que je ne réponds à aucune commande, – je photographie ce que j’ai envie. Par rapport à cet esprit des années 70, je me suis aperçu qu’effectivement les oeuvres que je photographiais y faisaient référence, comme la lecture possible de ma propre histoire. Mais aujourd’hui je fais plutôt une recherche sur les débuts de la photographie, voire de la gravure du XIXe siècle, pour voir comment s’installe la reproduction mécanique des oeuvres aussi avant l’apparition de la photographie.

CF : Le diaporama a-t-il un rapport avec le travail de mise en scène de la reproduction de l’image de l’artiste Hans-Peter Feldmann ?

PL : Oui, sans doute… d’ailleurs certaines oeuvres d’Hans-Peter Feldmann sont reproduites dans le diaporama. Mais c’est surtout sa manière de concilier son activité d’artiste avec une indépendance par rapport au milieu économique de l’art qui m’a séduite. Le diaporama est une forme qui permet aux images d’être diffusées et manipulées, peut-être au même titre que l’utilisation du format du livre par Hans-Peter Feldmann ou Ed Ruscha à la fin des années 60.

CF : Envisagerais-tu par exemple de confier à une agence la diffusion et la distribution de tes images ?

PL : Non car mes images posent des problèmes de droit complexes puisque chaque image comporte au moins deux ou trois co-auteurs : le musée, l’artiste, le photographe, l’éditeur d’un livre, etc… Par contre, je m’intéresse beaucoup à la façon dont une image se voit transformée par sa publication. Une photographie tirée du diaporama peut ainsi être recadrée ou imprimée à l’envers. Je suis toujours surpris par l’utilisation faites des images sur un marché (celui de l’art) qui est pourtant presque uniquement basé aujourd’hui sur leur exploitation.

CF : Le diaporama porte en lui la symbolique de la salle de spectacle, du vieux cinéma de quartier. N’y a-t-il pas un côté nostalgique, voire désuet dans le diaporama ?

PL : Le diaporama permet de partager des images en groupe. Or nous sommes de moins en moins dans ce type de relation à l’image, c’est donc peut-être de là que découle ce côté nostalgique.

CF : Mais peut-on véritablement partager une image ? N’y a t-il pas, dans l’idée de projection, une subjectivité dans la lecture de l’image, de sorte que nous ne sommes jamais devant la même image ?

PL : Bien sûr, mais même seul sur Internet l’image n’est pas perçue de la même façon par chacun. Partager une image ne se limite pas au seul cadre du diaporama. Il existe de nombreuses façons de partager, d’échanger ou de faire circuler une image. Ce n’est donc pas forcément lié à une certaine nostalgie de la salle de spectacle.

CF : Dans tes diaporamas il y a énormément d’images liées à l’art, pourquoi ne cherches-tu pas à sortir de la reproduction d’oeuvres ?

PL : L’enjeu est en effet de poser la question de la réception de l’art donc je me cantonne à ce milieu qui s’inscrit déjà dans des espaces très variés.

CF : Tu cherches néanmoins à travers le diaporama à sortir les images de l’espace clos de l’exposition afin de les envoyer dans un espace réel.

PL : Les images sont toujours réelles. Ce qui c’est la confrontation de différentes générations d’images. Avant, je ne projetais jamais les photographies prises dans une exposition en cours. Aujourd’hui, les images d’une exposition sont diffusées dans la presse avant même qu’elle ouvre. Les délais de re-projection sont donc de plus en plus courts.

CF : Tu as aussi projeté un diaporama dans le cadre du « Bar mobile », et aussi associé des gens au diaporama. Quel est l’intérêt de les faire intervenir dans cet espace ?

PL : Par exemple, avec le Bar mobile (association fondée avec Hans-Ulrich Obrist, Jean-Charles Masséra, Stéphanie Moisdon-Trembley et Elisabeth Lebovici) il s’agissait de transformer des lieux divers en bars pour un moment. Dans ce cadre, j’ai projeté un diaporama différemment. Le groupe Radio Mentale a mixé sur des images qu’ils n’avaient jamais vues, ce qui a produit des collisions très intéressantes et parfois incongrues, comme la musique de Mission Impossible sur les images d’une oeuvre de Buren. L’idée est de rendre public ces échanges en faisant intervenir des gens issus de champs différents du milieu de l’art, car le diaporama évolue en fonction de mes réflexions mais aussi de celles que je partage avec d’autres. Par exemple, dans son intervention, Alexis Vaillant avait fait des commentaires en regardant certaines images, et proposé des musiques. Je les ai insérées dans le diaporama. J’ai également confié la télécommande du diaporama à d’autres personnes, comme Aurélien Froment ou Philippe-Alain Michaud, qui ont décidé ainsi du rythme de la projection.

LE DIAPORAMA

PL : Le jeu est simple, Catherine Francblin va désigner une personne dans la salle selon certains critères, laquelle me donnera un premier chiffre en 1 et 4 et un second entre 1 et 80, ce qui me permettra de sélectionner une image dans l’un des quatre paniers. Je donnerai alors l’image à la voyante qui nous dira si elle voit quelque chose…

CF : Y-a-t-il une personne dans la salle qui se prénomme… Patricia ?

Patrice ?

Patrick ?

Pierre ?

[Pierre choisit le panier 2, diapositive 13]

Patricia Falguières : Je suis troublée car je vois un laid montage d’images, avec un personnage vulgaire qui se brosse les dents. Il semble sortir d’un film des années 70 et ressemble terriblement à Jean Yanne. Il est placé à côté de Mireille Darc qui semble sortir d’un bain et interroger un flacon d’Obao – lequel n’existe d’ailleurs plus aujourd’hui. Au-dessus, je vois un portrait peint d’une jeune femme nue qui se sèche les seins.
Cette photo est dupliquée. La photo est reprise sur Télé 7 jours, qui « va plus loin ». Je devine derrière le montage une cimaise en morceau. Ce serait donc une image de cinéma, reprise par Télé 7 jours et revue dans le cadre d’une exposition rétrospective, soit sur le cinéma soit sur les années 70. Mais tout est possible…

CF : Passons à une autre image. Y a t-il une personne dans la salle transportant ses affaires dans un sac en plastique du…

MOMA ?

Du centre Pompidou ?

Du Musée National d’Art Moderne de la ville de Paris ?

De la FNAC ?

Quelqu’un qui transporte ses affaires dans un sac en plastique ?

[La personne désignée choisit le panier 3, diapositive 69]

PF : Je reconnais une photo de Pierre Leguillon, telle une étude sociologique, une photo de contextualisation forcée puisque je vois un jeune homme moderne, avec les lunettes qu’il faut, le blouson qu’il faut, avec une coupe de champagne à la main, lisant un cartel d’exposition deux fois plus grand que la photo qu’il semble légender. Il s’agit de la contribution de Pierre Leguillon à la situation du monde de l’art aujourd’hui en France. Serait-ce une exposition d’art conceptuel revisitée par un jeune visiteur averti ou une simplement une vision sociologique de l’art, mystère ? Je demande une autre photo.

CF : Y-a-t-il dans la salle une personne qui aurait sur elle un livre de Marcel Proust ?

De Catherine Millet ?

Un livre d’histoire de l’art ?

un simple livre de poche ?

[Une personne ayant un livre de poche de Thomas Mann choisit dans le panier 1, la diapositive 79]

PL : Je prends la liberté de donner à notre voyante trois images car il s’agit d’une séquence.

PF : C’est véritablement une séquence critique de Pierre, qui s’engage peut-être plus précisément. Deux photos représentent la même pièce, d’aspect très nue avec de la moquette sur laquelle est posé un minuscule moniteur vidéo, et un jeune homme assis feuillette un journal. Dans les deux photos, il s’agit de la même salle dont le vide est presque palpable. Mais si dans la première photo nous sommes dans le rouge, dans la seconde, la pièce veille dans une luminosité orange. La troisième image semble être un commentaire. Il s’agit d’un montage complexe puisqu’une main anonyme tient une revue dont le titre de l’article est « contemporain, les grands maîtres de demain » avec une photo ressemblant à une pièce de Matthew Barney. Mais il me semble qu’il s’agisse plutôt d’un magazine de vente de Sotheby’s, annonçant donc une vente de pièces de Matthew Barney. Juxtaposée à cette page, je vois une affiche, très conceptuelle, montrant une bouteille de Ricard inversée contenue dans un verre vide. Or, je m’aperçois que cette image se retrouve dans les deux photos précédentes. C’est l’aspect polémique et ironique du diaporama qui s’installe. En effet, la pièce de Dominique Gonzalez-Foerster montrant ce jeune homme se trouve bien dans cet espace et lisant tranquillement le journal disposé à cet effet, prend une allure extraordinaire avec l’image de la publicité pour une boisson alcoolisée, puisque l’angle choisi par le photographe montre, cette fois-ci, le décor d’un jeune cadre branché avec son téléphone portable, sa recharge fixée au mur et son réveil numérique et qui vit dans la solitude zen de la modernité.

CF : Vous avez décrit des relations entre ces trois diapositives mais la dernière a-t-elle vraiment un rapport avec les deux premières ? Est-il possible qu’elles appartiennent au même diaporama ?

PF : Finalement, j’aime l’idée de Pierre selon laquelle le diaporama nous fait entrer dans la distance qu’il a lui même aux oeuvres. De fait, toutes les photos sont liées car elles intercalent entre vous et l’oeuvre des stratifications de distance, elles-mêmes multipliées, ce qui fait la vrai modernité du travail de Pierre. Même si chaque regard est différent, l’exemple de la dernière image qui juxtapose une page de publicité avec un catalogue de Sotheby’s, pourrait être une image de Philippe Thomas. Au travail d’interprétation critique sociologique du diaporama, le pastiche s’ajoute. De ce point de vue, on imagine aisément qu’elles peuvent appartenir au même diaporama.

CF : Je poursuis en demandant s’il quelqu’un dans la salle a un paquet de Lucky Strike ?

De Marlboro ?

[La personne choisit le panier 3, diapositive 69]

PL : Comme elle a déjà été choisie, je donnerai à Patricia les diapositives 67 et 68.

PF : La première image est très énigmatique avec un cadrage décevant. Elle montre la portion du corps d’une personne entre le genoux et la ceinture. Cette personne est vêtue de vêtements gris et porte des bottes que j’associe de façon assez conformiste à celles d’un égoutier puisque j’aperçois, derrière, un marécage. Je ne sais pas s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Je vois une manche de vêtement vide et suis inquiète car la manche est extraordinairement longue et j’imagine donc un être étrange.
La seconde diapositive m’éclaire car ce que je prenais pour un être malheureux se révèle être un mannequin. Je vois une succession de mannequins exposés devant une immense baie vitrée. Je suppose que c’est une exposition qui a lieu dans un musée d’art contemporain du Nord car l’architecture est apaisée et lumineuse et qu’il y a un parc somptueux. Donc, je vois une exposition d’un grand couturier, forcément grand car exposé dans un musée d’art contemporain. Je crois reconnaître le coup de fil de Margiela. La photo prend un air à la Jacques Tati car une femme, vêtue d’une robe à fleur et de sandales, reste perplexe devant les mannequins, peut-être parce qu’elle ne rentrera jamais dans une robe de Margiela, à moins qu’elle ne contemple le jardin.

CF : Y-a-t-il maintenat une personne ayant le Monde Diplomatique ?
[Une personne choisit le panier 2, diapositive 23]

PL : Je choisis de donner à notre voyante également les diapositives suivantes.

PF : Je vois trois jeunes gens et une dame plus âgée, dans un parc. Le jeune homme, accroupi, prend une photo vers le large au lieu de photographier les jeunes filles. Mais je m’aperçois qu’il photographie son propre reflet et celui de son amie dans une sculpture. Dans la seconde image, j’imagine voir la photographie prise par le jeune homme. Son format et l’album dans lequel elle se trouve m’indique qu’il s’agit d’une photo de famille. La photographie, très artistique, montre, dans le reflet de la sculpture, la main du jeune homme, de laquelle émerge sa jeune amie, comme un Rodin. Enfin, la troisième image, commentaire ironique de Pierre, montre l’affiche de King Kong tenant dans la main sa victime.

CF : Patricia, vous dites souvent « j’imagine… », est-il possible de regarder sans imaginer ?

PF : Non, dans la mesure où il y a toujours une projection. Le travail de Pierre, qui reprend le meilleur des problématiques des conceptuels des années 70, est une réintégration des associations possibles. Mais ce n’est pas seulement un moyen de faire coopérer le spectateur à l’élaboration de l’oeuvre, il s’agit aussi de restituer la dimension virtuelle de notre rapport à l’art. Pierre porte un regard respectueux et amical sur les oeuvres d’autres artistes. En même temps, il y a dans son travail une mise en perspective sociologique, politique ou simplement un commentaire d’histoire de l’art, ou alors juste un regard anodin et drôle.

CF : Y a-t-il dans la salle… une avocate ?
[L’avocate choisit panier 1, la diapositive 1]

PF : Je vois un jeune homme découpant une feuille de papier rouge. Les caractéristiques du bureau dans lequel il se trouve, avec notamment la bibliothèque et la règle me font imaginer qu’il s’agirait d’un jeune graphiste soigneux qui préparerait peut-être la couverture d’un catalogue d’exposition ou un carton d’invitation.

PL : Ce commentaire montre l’importance de la séquence, car pour comprendre que le personnage est un artiste qui recouvre les livres d’une toile rouge il faudrait que Patricia voie les diapositives 2 et 3.

CF : Finalement, il ne s’agirait pas de reconnaître mais de construire un nouveau diaporama. Patricia, comment associeriez-vous les images de ce diaporama ?

PF : J’associerais peut-être simplement cette image du jeune graphiste au papier rouge à la pièce rouge de Dominique Gonzalez Foerster.

PL : Ce type de classement des diapositives par couleur m’intéresse car je peux organiser une séquence ainsi, mais cela questionne aussi la façon dont la présentation des oeuvres est aujourd’hui pensé dans les musées.

CF : Une personne ayant un ticket d’entrée au cinéma pourrait-elle choisir une dernière diapositive ?

[Une personne choisit panier 1, la diapositive 50].

PF : Je vois la photo d’une oeuvre qui pourrait être issue d’un compte rendu d’exposition dans une revue d’art. Le cadrage minimal de la photo, prise de biais, montre une vitrine dans laquelle se trouvent d’immenses coupes sportives, disproportionnées, en papier argenté. Cette image ne propose pas de mise en scène, contrairement aux précédentes, et traduit la neutralité du photographe qui ne fait que constater. Cette image se lit différemment car, parue dans un journal, elle serait une forme d’adhésion à l’oeuvre, mais dans le diaporama elle pourrait traduire une ironie ou une réticence. Si les autres images sont fabriquées par le regard des autres, cette photo est déjà dans le second degré.

CF : Ce diaporama « Ricard », sans être projeté, a sans doute déjà résolu les problèmes de droit que nous avons abordés. Finalement cette forme de projection indirecte a été une façon enrichissante de l’aborder.

Intervenants

Patricia Falguières
Pierre Leguillon

Date
Horaire
19h00
Lieu
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre

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