Évènement

Rénata Poljak Shalva Khakhanasvili, Pavel Smetana

Vendredi 26 mai 2000 à 19h

Qu’en est-il de l’art des artistes d’Europe centrale et orientale depuis la chute du mur de Berlin ? Où se situe désormais la frontière – si elle existe encore – entre l’Est et l’Ouest ?

Rénata Poljak : artiste née en Croatie en 1974. A fait ses études à l’Ecole des Beaux-Arts de Nantes.

Shalva Khakhanasvili : artiste né en 1964 en Géorgie. A fait ses études à Moscou, a séjourné à Berlin, vit désormais à Paris.

Dimitri Konstantinidis : ancien directeur du FRAC Alsace, directeur de l’association Apollonia pour favoriser les échanges entre les artistes de l’Est et les artistes de l’Ouest de l’Europe.

Pavel Smetana : artiste né en 1960 en ex-Tchécoslovaquie. Vit en France depuis 1983, il enseigne à Aix en Provence.

L’art d’Europe de l’Est est en ce moment représenté à Paris dans l’exposition L’autre moitié de l’Europe au Jeu de Paume, exposition au titre choc qui fait penser à la façon dont on qualifiait les femmes il y a quelques décennies quand on disait  » l’autre moitié de l’humanité « .
Dans la prochaine Biennale de Lyon qui  » présente l’aventure du monde de l’art vivant ouvert à l’ensemble des cultures  » (Jean Hubert Martin), seuls deux artistes de l’Est de l’Europe sont invités à participer, un polonais et un bulgare.
Les artistes de l’Est apparaissent souvent aux yeux des occidentaux comme des artistes de l’Europe occidentale sous-développée, il y a un déficit d’intérêt envers eux.

Qu’en est-il de l’art de ces artistes depuis la chute du mur de Berlin ? Où se situe désormais la frontière – si elle existe encore – entre l’Est et l’Ouest ?
La nouvelle mobilité des artistes d’Europe centrale nous donne aujourd’hui l’impression que cette Europe-là n’a qu’une identité très approximative. Qu’en est-il alors de l’identité des artistes de l’Est ?

Aujourd’hui la division Est/Ouest a t’elle encore un sens ?

Rénata Poljak : Je ne suis ni de l’Est ni de l’Ouest. Je viens de Croatie, du centre de l’Europe, je voyage beaucoup, pour moi cette division Est/Ouest correspond à une vision passéiste.

Shalva Khakhanashvili : En terme géographique, la Géorgie est à l’Est. D’un point de vue culturel, le problème de la division Est/Ouest n’est posé que par les gens de l’Ouest.

Pavel Smetana : Je ne vois pas de différences culturelles entre l’Est et l’Ouest mais des différences économiques. Aujourd’hui toute la jeunesse tchèque voyage en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Quant aux pratiques artistiques, il n’y a pas de différences entre les artistes de l’Est et ceux de l’Ouest.

Dimitri Konstantinidis : la division Est/Ouest est un faux problème qui n’a plus de sens aujourd’hui. De plus le terme nomade n’est pas propre aux artistes de l’Est. Désormais grâce à Internet, le voyage est virtuel. Ce moyen est d’ailleurs très répandu dans la pratique artistique à l’Est.
Avec Apollonia nous cherchons à confronter le travail des artistes européens : comment faire ressortir les particularités artistiques de ces artistes et échapper à la division Est/Ouest.

La vraie question est en réalité de savoir s’il existe un centre et une périphérie, et où se trouve le centre ?

Dimitri Konstantinidis : comment échapper à cette vision Est/Ouest ou centre/périphérie ?
Bientôt le nomadisme n’aura plus de sens. Avec la mondialisation les gens ne se déplaceront plus, les démarches artistiques seront les mêmes partout.
Chaque artiste doit préserver sa spécificité selon sa culture, sans se demander s’il est au centre ou à la périphérie.

Rénata Poljak : ma culture est importante pour mon travail, elle est au coeur de mes souvenirs et de mes préoccupations. C’est ce qui permet de différencier les artistes dans les expositions internationales, chacun doit préserver sa culture.

Shalva Khakhanashvili : en Géorgie la culture est méditerranéenne. Quand j’y habitais, on n’y trouvait pas de magazine d’art, j’étais sans cesse à la recherche de Flash Art.
La culture géorgienne n’est pas en phase avec le passé communiste de la Russie, la Georgie a toujours été une région  » à part « , si bien que je me sens partout un étranger.
La plupart des artistes géorgiens partagent ces mêmes préoccupations. Nous avons d’ailleurs exposé régulièrement ensemble à partir de 1988.

Vous travaillez tous avec des moyens très contemporains (vidéo, Internet…) ; Est-ce que ces moyens vous aident ou vous desservent par rapport à votre propre tradition culturelle?

Renata Poljak : en Croatie je faisais de la peinture et je ne réussissais pas à m’exprimer. Avec la vidéo j’ai trouvé un médium dans lequel j’arrive à exprimer mes idées.

Shalva Khakhanashvili : avant je fais ais de la peinture et de la photographie, je n’ai pas abandonné mais seulement transposé mes idées sur ordinateur.

Dimitri Konstantinidis : En Europe occidentale comme à l’Est on ne considère pas encore les nouvelles technologies comme des modems artistiques. Les artistes de l’Est se sont plus facilement emparés de ces moyens pour faire de très bons travaux.
En Roumanie, Caucescu interdisait la photographie ; après son déclin, de nombreux photographes clandestins se sont révélés.

Pavel Smetana : avant la chute du mur de Berlin, les informations circulaient sous le manteau ; depuis on a le même accès aux informations que partout ailleurs en Europe : uniformisation de l’Europe.

Dimitri Konstantinidis : la diffusion de l’information n’est pas un problème spécifique à l’Est, en France on ne connaît pas les artistes allemands. Mais c’est comme partout en occident : on manque d’intérêt pour l’art de l’Est.

Comment expliquer le manque de diffusion de ces informations ?

Collectivement : le mythe des mauvais artistes qui découvrent le monde occidental et la nouvelle technologie, ces artistes qui ne sont pas encore arrivés à maturité et qui sont des sous-produits de l’occident, est encore présent en Europe de l’Ouest.
En France on connaît mieux ce qui se passe aux Etats-Unis qu’en ex-Yougoslavie. Pourtant il existe un grand nombre d’artistes talentueux dans ces  » contrées inconnues « .
Apollonia a un rôle à jouer pour détruire ce mythe.
On pense encore que pour confirmer leur formation, les artistes de l’Est doivent passer par une institution occidentale. Il en est de même pour les critiques : il n’y a pas d’échos de l’Est pour faire passer l’information artistique.
Rien n’est fait non plus pour favoriser l’achat d’oeuvres d’art de l’Est, il n’existe pas d’équivalent des Frac, des galeries ni des musées.
En Pologne, il existe un réseau de relations avec les autres pays de l’Est : c’est un réseau alternatif directement lié au réseau artistique des Etats-Unis.
Il est évident que la culture de l’Est fait partie intégrante de l’héritage artistique de l’ensemble de l’Europe. Il faut que les occidentaux en prenne conscience.
L’identité culturelle européenne unitaire est fondamentale.

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Intervenants

Rénata Poljak
Shalva Khakhanasvili
Pavel Smetana
Dimitri Konstantinidis

Date
Horaire
19h00
Lieu
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre

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