Exposition

La Ritournelle du Peuple des Cuisines

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Exposition du 23 mai au 2 juillet 2016

Une série de gestes

Sophie Bueno-Boutellier est peintre et sculptrice. Ses installations combinent des objets ready-made à des éléments fabriqués à partir de matériaux modestes, accessibles dans les magasins de bricolage. Elle utilise de préférence le plâtre pour sa facilité d’utilisation, sa capacité à reproduire avec précision et immédiateté n’importe quelle forme, et à se colorer dans la masse. Les formes réalisées sont souvent des cylindres, des parallélépipèdes d’épaisseur et de dimensions variables, associées à des moulages d’objets simples. Elle se sert également du bois contreplaqué en panneau et le déguise parfois en autres matériaux à l’aide de techniques simples de décoration (faux marbre, pierre). Elle s’en sert aussi pour construire des plateformes de présentation des éléments ensemble, pour ses installations. Les plateformes peuvent être calées contre le mur ou flottantes, plus ou moins surélevées, parfois légèrement colorées de tons neutres.

Les objets ready-made sont soit achetés dans le commerce (rouleau d’essuie-tout, câbles électriques,…), soit des matériaux trouvés (des rebuts de production céramique par exemple). Pour cette exposition, l’artiste a commandé la réalisation des objets (ici, des tapisseries faites d’après une série de dessins représentant les volutes d’un liquide remué) à Alberto Ruiz, un artisan tisserand de Teotitlán del Valle (Oaxaca), connu pour la qualité de ses réalisations textiles.

Sophie Bueno-Boutellier réalise aussi des peintures-objets qui sont confectionnées grâce au pliage d’une toile enduite de gesso. Ces peintures ont le plus souvent une taille qui rappelle leur processus de fabrication manuel, lié aux dimensions du corps de l’artiste et à ses capacités physiques. Dans l’exposition, elles fonctionnent autant comme des éléments de l’installation que comme des sortes d’objets transitionnels entre les sculptures et les tapisseries qui sont, d’un certain côté, aussi des peintures.

La mise en scène de ces différents éléments dans la galerie obéit à la mise en œuvre d’une suite d’intuitions et de tests réalisés dans le studio, destinés à déterminer la place des objets au sein d’un schéma de travail évolutif explicitant les orientations initiales de l’artiste quant à son projet d’exposition. Chaque installation est en effet réalisée à partir d’une idée de départ précise, qui remet chaque fois en jeu la pratique en reproduisant, détournant et complexifiant les motifs et les gestes, dans un cycle incessant de construction, déconstruction et reconstruction.

Une pratique où le personnel est un contexte, pas un sujet

Sophie Bueno-Boutellier s’inscrit dans la lignée d’artistes femmes aux pratiques formalistes, soucieuses de ne pas laisser aux hommes le monopole de l’universalité du discours, et conscientes des réductionnismes liés à la revendication identitaire.

Bueno-Boutellier est à placer dans la lignée de sculptrices et de peintres assumées comme Louise Bourgeois, Eva Hesse ou Lynda Benglis, d’artistes au minimalisme systématique comme Vera Molnar ou Fernanda Gomes, d’assemblagistes comme Isa Genzken, d’appropriationistes comme Sherrie Levine, d’artistes conceptuelles comme Dominique Gonzalez-Foerster ou Tatiana Trouvé – cette dernière étant d’ailleurs diplômée comme Bueno-Boutellier de la Villa Arson. Des artistes femmes décidées à s’inscrire en toute lucidité dans le champ des pratiques post-minimales, sans autre style distinct que celui d’être directement issues de la modernité, impénitentes car conscientes des enjeux de production/reproduction qui conditionnent et influencent leur processus créatif.

La mémoire, l’affect, la sensualité sont des sujets chers à Sophie Bueno-Boutellier, et peuvent donc se lire de façon intuitive et polysémique dans son œuvre, sans être forcément réduits à l’expression d’un féminin. Et s’ils le sont, c’est pour rappeler que le féminin n’est pas une caractéristique essentielle, mais plutôt un jeu de connotations construites, bien que chargées d’implications symboliques qui participent de l’expérience esthétique de chacun en faisant appel à tout un bagage culturel et vernaculaire dont l’artiste connaît les limites tout en cherchant à les dépasser.

Certains malentendus dissipés

La Ritournelle du Peuple des Cuisines (1) est un essai plastique qui pose le geste et le corps comme des unités de mesures primordiales de notre perception du temps et de l’espace, ainsi que de la construction de notre rapport à notre environnement social, affectif et productif. En partant de l’espace domestique défini aux usages social et productif consacrés qu’est la cuisine, Sophie Bueno-Boutellier construit un environnement où les objets fonctionnent autant comme des productions plastiques autonomes que des archétypes s’incluant dans une fiction culturelle plus large imaginée par l’artiste. Le biographique – le fait pour l’artiste de transférer les gestes productifs du studio à la cuisine, le temps d’assumer son rôle reproductif, celui de femme et de mère – n’est ici qu’un indice destiné à évoquer l’origine concrète de décisions plastiques réalisées par l’artiste lors de la production des œuvres. La paroi/fenêtre qui délimite des espaces ouverts/fermés, occupés/inhabités comme une évocation de gynécées et d’espaces séparés, les œuvres qui passent du sol, aux murs, au socle dans une sorte de nonchalance méditerranéenne, les tapisseries réalisées par un homme dans un pays étranger, les ustensiles pour découper, aplatir, absorber, poser, partager… sont la traduction de répartitions sociales et formelles très anciennes qui sont ici rejouées à travers la sculpture et l’installation.

Dans ce moment important de notre époque où la crise de l’humanisme (2) oblige nos civilisations à redéfinir une vision commune de l’être humain et de l’individu, la pratique de Bueno-Boutellier révèle de façon opportune l’évolution autant que l’atavisme de nos relations à nos rituels quotidiens, symboliques et genrés genres. Elle pose le culturel non comme une suite d’oppositions, mais comme la possibilité d’une relation organique et intersectionelle à notre environnement.

Dorothée Dupuis, mai 2016.

1 : « Le peuple des cuisines » paraphrase le titre d’un article de Luce Giard dans le second tome de son fameux ouvrage L’’Invention du quotidien, coédité avec Michel de Certeau, Gallimard, Paris, 1980.

2 : Rosi Braidotti, The Posthuman, Polity Press, Cambridge, 2013, introduction.

Dates
23 mai - 2 juillet 2016
Horaires
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Nocturne mercredi jusqu’à 21h
Lundi sur rendez-vous
Entrée libre
Visites
Visites commentées gratuites
mercredi 12h, samedi 12h et 16h
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