Exposition

All The Messages Are Emotional

Exposition du 10 septembre au 31 octobre 2024

Sous le titre de "All the Messages Are Emotional" le 25e Prix Fondation Pernod Ricard réunit 7 artistes invité·e·s par la commissaire d’exposition Arlène Berceliot CourtinClémentine AdouMads BycroftHaYoung, Charlotte Houette, Lenio KakleaPaul Maheke et Mona Varichon

La première image qui m’est apparue à la suite de l’invitation afin d’assurer le commissariat du vingt-cinquième Prix Fondation Pernod Ricard, c’est un émoticône inscrit sur un mur du métro new-yorkais. Il s’agit d’un smiley avec un sourire vers le bas et des yeux en spirale annonçant la fin des conflits émotionnels à travers ces quelques mots : « Emotional conflicts, last day here ! » Dans quelles mesures, l’étude des conflits et plus généralement des émotions au cœur de ces tensions permettraient de mieux appréhender notre monde en mutation. Si le conflit n’est pas une agression, alors comment défaire ce nœud qui se forme à chaque fois que nous rencontrons une dissonance affective ou que nous devons affronter une aggravation brutale de notre état chronique perpétuellement en crise ? Voilà en partie les questions qui m’ont traversé l’esprit à ce moment-là et qui continuent de m’habiter en ce début d’année.

Selon Ann Cvetkovich (CA, 1957), le terme « affect » désigne autant un problème conceptuel qu’une chose tangible. En tant que tel, il est mieux compris comme un terme générique qui inclut des mots apparentés et plus familiers tels que « sentiment » ou « émotion », induisant par ailleurs le mouvement ainsi que les efforts déployés pour établir une distinction entre eux2. L’émotion impliquerait donc l’idée de mouvement et ce dès son origine linguistique jusqu’à sa réalité plastique. Pour autant, elle semble échapper à toute tentative de définition institutionnelle ou académique afin de circuler librement entre les corps. L’affect comme l’émotion n’est à l'intérieur de rien, il n’est pas non plus à l'extérieur. L’émotion comme l’affect repose sur une exploration sociale qui efface la distinction privé/public et annonce à travers cette disparition, une forme d’élocution voire d’émancipation à venir. Les affects tout comme les émotions et même les sentiments sont des faits3. Ils sont par là même aussi denses que complexes, car toujours situés, interpersonnels et incarnés. De telle sorte qu’ils existent à travers un phénomène de transmission ou plutôt un ensemble de transferts opérés d’un corps à un autre, d’un mouvement à un autre, d’un objet à un autre.

Figure incontournable de la phénoménologie queer, Sara Ahmed (UK, 1950) hésite à utiliser le terme « affect » tant celui-ci est au cœur d’un tournant scientifique à la fin des années 1990. Elle s’intéresse davantage à l’émotion en tant que synonyme de mouvement mais aussi en tant que mot largement utilisé au quotidien4. Elle ajoute que ce sont les objets de l'émotion qui circulent, plutôt que l'émotion en tant que telle5. Alors, comment reconnaitre ces objets dérivés de l’émotion ? Et dans quelle mesure les réunir pourrait constituer et/ou motiver le point de départ d’une exposition ? Je ne saurais répondre pour l’instant, mais j’ai la certitude que lors des prochains mois, nous parlerons ensemble, avec joie et enthousiasme, de la possibilité de réaffecter des formes post-minimalistes, du vivant photosensible et d’existence extra-ovarienne, de nouvelles narrations féministes et science-fictionnelles, de collecte de gestes affectés au sein d’une ambitieuse encyclopédie pratique de la danse, de réalités et subjectivités post-binaires, du corps performant telle une archive vivante à décoloniser et enfin de la traduction comme action politique et pourquoi pas sentimentale. Autant de spéculations qui laissent présager une exploration collective de l’affect, en dehors de tout lieu commun, porteur en ce sens de nouvelles expériences sociales.

À travers sa contribution majeure à la théorisation des affects, Lauren Berlant (USA, 1957 – 2021) a constitué un témoignage fondamental de l’exploitation mais aussi de la marchandisation des affects dans le contexte néolibéral particulièrement agressif et capitalocène de l’Amérique du nord. À travers une syntaxe exigeante, elle convoque une suite de concepts largement inexplorés tels que l’abandon, le désir, l’amour, l’épuisement, la réparation, l’attrition d’un fantasme de vie investie collectivement : « the good life »6. Sa pensée accompagne ce projet qui résonne par ailleurs comme l’occasion idéale de traduire un de ses essais jusqu’alors inédit en langue française. Inspiration directe, elle donne aussi les premières intentions de cette recherche à travers l’annonce de son titre : « Tous les messages sont émotionnels ».

 

 


1Sarah Schulman, Le Conflit n’est pas une agression, rhétorique de la souffrance, responsabilité collective et devoir de réparation, Éditions B42, 2021.

2Ann Cvetkovich, Affect. In B. Burgett & G. Hendler (Eds.) Keywords For American Cultural Studies (pp. 13–15). New York and London, NYU Press, 2007.

3Yvonne Rainer, Feelings are Facts: A Life, MIT Press, 2006.

4Affect/Emotion: Orientation Matters, A Conversation between Sigrid Schmitz and Sara Ahmed, Freiburger Zeitschrift für GeschlechterStudien, Budrich Unipress, 2014.

5Sara Ahmed, The Cultural Politics of Emotion, Edinburgh University Press, 2004.

6Lauren Berlant, Cruel Optimism, Duke University Press, 2011.

 

 

Dates
10 septembre - 31 octobre 2024
Horaires
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Nocturne mercredi jusqu’à 21h
Lundi sur rendez-vous
Entrée libre
Visites
Visites commentées gratuites
mercredi 12h, samedi 12h et 16h