Exposition

TREMORS

Grounded (detail), 2019
Courtesy of Phillip Zach and Freedman Fitzpatrick, Los Angeles/Paris
Grounded (detail), 2019 Courtesy of Phillip Zach and Freedman Fitzpatrick, Los Angeles/Paris
Exposition du 31 août au 13 octobre 2019

Une exposition personnelle de Phillip Zach.

PHILLIP ZACH Tremors 

Freedman Fitzpatrick, Paris 31 août – 13 octobre 2019 

Les histoires que racontaient mon père donnaient toujours l’impression de s’éterniser. Les souvenirs de sa jeunesse provenaient principalement de la guerre, de sa fuite depuis le Nord vers le Sud d’un pays qui ne s’appelait encore que la Corée, avant qu’une frontière ne la coupe pour toujours en deux. À la maison pendant mon enfance, pendant des séances karaoké au-moins-hebdomadaires (sur LaserDisc), je n’ai jamais compris pourquoi mon père pleurait lorsqu’il chantait « Edelweiss », de la célèbre comédie musicale années 50 La mélodie du bonheur. Je n’ai appris que plus tard qu’il s’agissait d’une chanson sur une nostalgie inconsolable pour une patrie perdue, la famille en question la chantant ensemble alors qu’ils s’échappent de leur pays. C’est seulement des décennies plus tard, quand il fut autorisé à revenir en Corée du Nord en tant que citoyen américain au cours d’une visite américaine sous haute surveillance, que tout ceci est devenu clairement réel. Quelques jours plus tard au moment de monter dans un bus, il a immédiatement sauté dans la rue latérale pour se rendre dans un magasin et demander à un commerçant effrayé de lui échanger son billet de 100$ tout neuf en devise nord-coréenne, ce qui représente probablement un an de salaire sur le marché noir. Ce qu’il tenait alors dans sa main, pièces et billets qu’il espérait reconnaître mais ne reconnaissait pas, montrait clairement l’effacement et la disparition du moindre souvenir restant de son pays natal. Ma mère reçut un coup de fil matinal de l’ambassade américaine à Séoul lui signifiant que mon père avait été emprisonné par les autorités nord-coréennes. Il fut libéré un jour plus tard au motif qu’il avait eu un moment d’amnésie et pensé s’être trompé de bus. 

Le plus choquant au-delà de tout ça (encore plus que le moment où il s’était fait cogner par un orang-outan lors d’un safari), fut quand il s’envola pour Séoul, exhuma ses parents pour les faire incinérer, et mit leurs cendres dans un sac poubelle noir pour les faire passer clandestinement dans l’avion de retour aux États-Unis ; c’est trop cher de le faire légalement, dit-il, mais par respect, je les mets dans mon sac à dos plutôt que dans ma valise. Plus tard quand il fut détenu à l’aéroport pour possession, dans la poignée droite de son sac, de résidus de cendres ressemblant à du matériel de fabrication d’explosif, il rembarra ses interrogateurs avec des photos et des vidéos de sa récente randonnée dans les montagnes de Bukhansan. Épuisés d’endurer les rêveries d’un aîné, ils le laissèrent passer sans même contrôler son sac à dos. 

Quel est ce désir de transporter les cendres de mes ancêtres de leurs terres, divisée comme elle l’est, vers un pays étranger, simplement parce que mon père y avait désormais vécu le double du temps ? En quoi la terre d’où l’on vient importe dans ces temps de dispersion totale, où l’industrie du bien-être aime à vanter l’enracinement mais encourage un mode de vie nomade et free- lance, des vols ridiculement bon marché qui autorisent encore plus de mobilité, et fondamentalement, plus de voyages inutiles ? Résultat, la mondialisation est endémique et partout ressemble à nulle part. La « droite » prône dès lors un retour au nationalisme, et dans les cas extrêmes un retour au droit du sang et du sol. Mais ils ne comprennent pas que les terres des migrants et des réfugiés seront rendus inhabitables par la faute du monde développé, et que ces vagues de migration sont imminentes et inévitables. En quoi cela pèse-t-il au regard de l’idée que l’Anthropocene est une blague, où toute l’humanité comptabilisée n’est à peine qu’un événement, encore moins une époque auto-référentielle ? L’arrogance qu’il faut pour penser que tous nos bouts de plastique commerciaux (recyclez !) ne seront pas absorbés en fin de compte par la nature, rampant et poussant lentement sur chaque condo de merde construits en placo, chaque route d’asphalte bon marché que nous avons créées, les couches géologiques et psychologiques de la Terre expulsant toute trace de notre existence entière. Bien que nous rêvions tous d’un futur où des êtres évolués et curieux flâneraient et fouilleraient nos ruines, comme les anthropologues l’ont fait avec celles du millénaire passé, pendant que nous nous dirigeons vers les cieux d’autres planètes habitables, nous serions bien chanceux si une petite parcelle de ces grands vortex de déchets du Pacifique demeurait pour rappeler que nous nous sommes trouvés un jour au sommet de la chaîne alimentaire. 

La dernière fois que j’étais à Los Angeles avec Phillip, nos vies respec- tives rangées par coïncidence dans des cartons de déménagement, la sienne dans mon Los Angeles natal, la mienne dans son Allemagne de l’Est, nous avons discuté des transitions, de la perte et des nouveaux commencements. C’est pendant cette conversation que nous avons vécu le second et le plus effrayant de trois séismes survenus en quatre jours, un nombre sans précédent même pour des Angelins bien préparés ; notre profond espoir en l’apocalypse, avec ses inévitables régénération, renaissance et changement réel, surmontant la peur de la mort. 

Ayant grandi à Los Angeles, nous étions tous amoureux du mythe du « Big One », un tremblement de terre censé écraser la ville à coup sûr et provoquer, le long des lignes de faille, une apocalypse de toutes sortes. Les seuls préparatifs qu’on nous avait enseignés, enfants, consistait à « plonger et se couvrir », une survivance des méthodes de protection contre les attaques atomiques des années 50. Si nous envisageons ces lignes de failles comme des frontières politiques, et l’angoisse collective de l’humanité actuelle comme l’apocalypse du Big One, alors nous n’avons rien appris et enseigné d’autre, depuis, que cette mentalité égocentrique du « plonge et couvre-toi ». Tandis que des camps de concentration pour enfants existent confortablement au sein de notre actuelle superpuissance délabrée, et que l’Islande pleure la mort d’un glacier vieux de sept siècles, comment pouvons-nous nous rassembler d’une manière authentique autour d’une militance contre le changement climatique ? Au fond, n’est-elle pas axée sur la préservation pour les générations futures ; pour les enfants, pour ainsi dire ? 

The Man in the High Castle, une série télé merdique adaptée par Amazon du roman dystopique du même nom de Phillip K. Dick, utilise en musique d’intro la chanson « Edelweiss », ralentie et hachée pour la teinter d’une sinistre tonalité nazie. Je suppose qu’il est difficile aujourd’hui de ne pas faire de ces paroles une lecture sur la suprématie des enfants blancs à la Ruban blanc. Mais dans une culture du politiquement correct poussé à l’extrême, je préfère laisser mon vieux père immigré coréen projeter les sentiments de rupture, de déplacement et de mort de toute une vie sur une comédie musicale faite pour les Blancs. 

Les paroles peuvent encore en dire beaucoup sur la perte de terres, la perte de vies humaines, et le long et triste adieu à ce que l’on sait ne plus pouvoir jamais exister de la même manière – tout cela alors que les sept frères et soeurs blancs du film traversent illégalement les frontières avec l’espoir d’un avenir meilleur, ou d’un avenir tout court. 

Edelweiss Edelweiss
Chaque matin tu me salues
Petit et blanc
Propre et lumineux
Tu as l’air heureux de me rencontrer
Qu’une fleur de neige puisse fleurir et pousser
Fleurir et pousser pour toujours
Edelweiss Edelweiss
Bénis ma patrie pour toujours

– Lisa Jo 

Traduit de l’américain par Antoine Thirion 

 

Phillip Zach (né en 1984 à Cottbuss, Allemagne) il habite et travaille à Los Angeles et à Berlin.. C’est sa première exposition solo en France. Ses oeuvres on été présenté cette année, lors de la 16ème édition de la biennale d’Istanbul organisée par Nicolas Bourriaud. Il a également réalisé d’autres expositions solo à travers le monde dans des galeries telles que: Freedman Fitzpatrick, Los Angeles; Koppe Astner, Glasgow; New Jerseyy, Bâle; Johan Berggren, Malmö et Frankfurter Kunstverstein, Francfort. Son travail a également été présenté lors d’expositions groupées à : La Panacée, Montpellier; M+B, Los Angeles; Kuns- thalle Mainz; CAC Vilnius; Depart Foundation, Los Angeles; Luma Foundation, Zurich; Kunsthalle Zurich; Dortmunder Kunstverein; The 31st Biennial of Graphic Arts, Ljubljana; Casey Kaplan, New York; Kunsthalle Freiburg; Moving Muse- um, Istanbul; White Flag Projects, St. Louis; Greene Naftali, New York; Halle für Kunst, Lüneburg; Bas Fisher Invitational, Miami; Portikus, Francfort; Museum of Contemporary Art, Roskilde et bien d’autres… 

Dates
31 août - 13 octobre 2019
Horaires
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Nocturne mercredi jusqu’à 21h
Lundi sur rendez-vous
Entrée libre
Visites
Visites commentées gratuites
mercredi 12h, samedi 12h et 16h