Évènement

Matthieu Laurette

Mardi 16 décembre 2003 à 19h

Matthieu Laurette a débuté sa vie d’artiste en participant à un jeu télévisé au cours duquel il s’est déclaré « artiste multimédia ». Cette intervention télévisuelle, et toutes celles qui suivirent, ont nécessité de sa part un travail – en amont (repérages, test de sélection, signature d’un contrat, etc.) et en aval (enregistrement des passages à l’image, montage des séquences, diffusion, exploitation, communication, etc.)

Pourquoi chercher à passer à la télévision ? Pour bénéficier du fameux quart d’heure de célébrité que convoite, selon Andy Warhol, tout citoyen moyen ? Pour se montrer à sa famille et ses amis ? Pour promouvoir des idées personnelles, pour vendre quelque chose, pour faire tourner la machine à spectacles ?
C’est à ces questions, entre autres, que répondra Matthieu Laurette lors des prochains Entretiens sur l’art en compagnie de la critique d’art Inès Champey selon qui le travail de cet artiste éclaire comme nul autre le processus de légitimation artistique.
Mais Matthieu Laurette est aussi l’artiste qui, durant des années, profitant des offres commerciales de la grande distribution, s’est fait connaître comme un consommateur futé, adepte accompli des produits remboursés. Il est aussi à l’origine du « Citizenship Project » qui montre que les nationalités font l’objet d’une marchandisation détournée et révèle comment s’offrir « clé en mains » une, voire plusieurs nationalité(s) de rechange. C’est lui, enfin, qui organise, dans le cadre d’expositions où il est invité, des rencontres de sosies de stars et personnalités du show biz, de la politique ou des médias. Autant d’activités qui constituent sa « vie d’artiste » et sur lesquelles il s’expliquera longuement en répondant aux questions de Catherine Francblin, à l’Espace Paul Ricard le 16 décembre prochain.

Matthieu Laurette est le lauréat du prix Ricard S.A. 2003.

Matthieu Laurette (ML, Inès Champey (IC) et Catherine Francblin(CF)

CF : Nous consacrons aujourd’hui cet entretien sur l’art à « la vie d’artiste », avec Matthieu Laurette, né en 1970 et lauréat du prix Ricard S.A. 2003, suite à l’invitation de Pascal Beausse, commissaire de l’exposition « Propaganda », présentée à l’Espace Paul Ricard. Nous recevons également Inès Champey, critique d’art.
Matthieu Laurette commence sa « vie d’artiste » en 1993 et se fait connaître bien au-delà du cercle des amateurs d’art. Lors d’une première intervention télévisuelle, il se déclarait artiste « multimédia ». C’est dire qu’il n’est pas un artiste vidéo. Il utilise en effet toutes sortes d’autres medias, du tract à la photographie, de l’installation au message Internet.
Si les médias utilisés sont variés, son matériau est assez particulier puisqu’il s’agit, la plupart du temps, de lui-même. Je ne parle pas ici d’une position narcissique de l’artiste, mais du fait que c’est la mise en scène de son travail d’artiste qui devient forme, devient « art ». C’est ainsi que l’oeuvre de Matthieu Laurette peut être rattachée à ce qu’on a appelé dans les années 70 l’art du comportement. Un art mis en évidence par la célèbre exposition « Quand les attitudes deviennent forme », de Harald Szeemann.
Le travail de Matthieu Laurette le conduit loin des espaces dévolus à l’art : à la télévision, dans les supermarchés, les ambassades. Il mène ainsi une vie d’artiste très éloignée de celle qu’on imagine d’après les clichés hérités du 19è siècle. Sa vie d’artiste est ancrée dans la réalité de l’économie contemporaine et centrée sur la question de la valeur de la marchandise.
Avant que Matthieu ne vous présente plus précisément son travail, je vous en donnerai une lecture personnelle. Même si je connais son travail depuis plusieurs années, j’ai été frappée, en préparant cet entretien, par le sérieux et la détermination de son engagement. Son acharnement, la précision de sa démarche m’apportent une preuve supplémentaire de la solidité de sa réflexion et confirment la validité de la voie dans laquelle il est engagé.

ML : Tout d’abord, j’oriente mon travail pour ne pas être catégorisé dans une discipline, que ce soit la vidéo, la sculpture ou la peinture.
Mon acte de naissance dans l’art a eu lieu le 16 mars 1993, lorsque je participe à l’émission « Tournez manège », basée sur un principe de rencontre entre des filles et des garçons qui ne se voient pas. La présentatrice me présente comme étudiant aux Beaux Arts de Grenoble et me demande ce que je veux faire plus tard. Je lui réponds : « artiste ». De façon classique elle précise : « peinture ?, sculpture ? » et je lui rétorque : « multimédia ». Ce terme, connu uniquement dans le milieu de l’art contemporain, n’avait encore rien à voir avec l’informatique, mais signifiait travailler avec tous les médias. A l’occasion de la diffusion de l’émission, j’ai envoyé un certain nombre de cartons d’invitations reproduisant les codes exacts d’une invitation à une exposition, de sorte que chacun puisse regarder en direct « Tournez Manège ». Voilà mon point de départ dans le monde l’art, ma première exposition personnelle..
Ensuite, de 1993 à 1995, j’ai développé une série d’apparitions dans les médias et étudié comment ils utilisent le public, leurs invités, ce qu’ils appellent les « real people ». A chaque apparition, je diffuse des cartons d’invitation et m’adresse ainsi à un certain public. 7 apparitions télévisées sont ainsi réunies dans une vidéo et m’ont permis de constituer une sorte de CV.
En sortant de l’école, de nombreuses questions se posent : Où commence la vie d’artiste ? Comment trouver les moyens de travailler, de faire des expositions.
J’ai alors démarré un travail autour de la consommation remboursée, en me demandant pourquoi, dans les supermarchés, des produits avec des offres « Premier achat remboursé » ou « Satisfait ou remboursé » existent et pourquoi, dans un système capitaliste, des produits sont remboursés dès lors que le consommateur fournit un certain travail. J’ai commencé à consommer ces produits, puis, comme il en existait de plus en plus, à en vivre jusqu’à avoir plusieurs comptes en banque afin de pouvoir me faire rembourser. J’ai ensuite fait savoir comment manger gratuitement, en distribuant des tracts, des flyers, que ce soit dans le contexte de l’art contemporain ou de concerts.
Puis, en 1996, à l’occasion d’une exposition sur Internet avec le musée d’art contemporain et la biennale de Lyon, je monte le « site des produits remboursés » pour expliquer comment faire des achats remboursés. Celui-ci donnait une liste réactualisée de produits et reprenait mes pratiques de consommation dans la vie réelle. A cette époque, l’Internet est un véritable eldorado et ce site est très vite plébiscité par des milliers d’internautes. Les journaux et les magazines tels que l’Express, le Nouvel Obs., etc. avaient tous une rubrique Internet dans laquelle ils ont largement sélectionné, annoncé et repris ce site. En deux ans, il a reçu plus de 4 millions de visiteurs mais ne m’a rien rapporté car il n’a pas été racheté au moment du boom Internet mais a été largement copié. Il existe actuellement de très nombreux sites de produits remboursés.
J’ai également ouvert des showrooms, sorte de supermarchés dans lesquels je présentais des produits à racheter à prix coûtant, accompagnés du ticket de caisse original pour le remboursement. Le showroom s’est décliné également à l’étranger. Ainsi, des stands installés dans le monde comme à la LCA, à Londres, expliquaient comment vivre remboursé. Je suis aussi parti en province pour une tournée dans un camion vitrine intitulé « vivons remboursé », Il présentait les produits remboursables disponibles à ce moment là, sans toutefois les vendre. J’ai également organisé des visites guidées de supermarchés, sans leur accord, pour montrer les produits remboursés.
Alors que j’avais arrêté en 1995 mes passages télévisés, j’ai décidé de combiner de nouveaux passages à la télévision avec la dynamique de propagande lancée avec la méthode de consommation sur les produits remboursés.
En 1996, Je décide de passer à l’émission « Je passe à la télé » dont le concept est simple : n’importe quel invité a 5 minutes maximum pour raconter son activité, sa passion ou chanter, danser. Lors du casting, j’explique que je suis artiste, que je vis de produits remboursés et voudrais montrer au public qu’il est possible de vivre ainsi. Je suis sélectionné et me retrouve donc sur le plateau, au milieu de 5 autres candidats et face à 100 personnes équipées d’un bouton sur lequel elles appuient quand elles se lassent de vous. Ainsi, quand l’audience est inférieure à 50% vous êtes éjecté, de sorte que assis entre deux présentateurs, votre siège vous renvoie en coulisse. J’explique donc comment vivre remboursé, je tiens les 5 minutes et je gagne une monnaie en bronze de la Monnaie de Paris, gravée « Je passe à la télé ». Je précise que j’avais été présenté au départ comme sculpteur, ce que j’avais réfuté, mais finalement je repartais sculpteur d’une pièce de bronze, après 5 minutes de parole.
Un déferlement médiatique suit cette émission. Je suis sollicité quelques semaines plus tard pour participer à l’émission de Tina Kiefer, « J’y crois, j’y crois pas », et parler de ma méthode des produits remboursés. Les demandes des médias s’enchaînent et je me retrouve même à la Une du Monde, dans un article intitulé « Demain, on mange gratis », écrit par une journaliste du secteur société-consommation, donc extérieure au monde de l’art. Elle décrit l’image qu’elle s’est faite de moi après une interview et définit un nouveau type de consommateur et de consommation.
Finalement, l’histoire lancée, tel un virus, dans « Je passe à la télé » a envahi tous les réseaux, des revues trash aux émissions de divertissement, d’information en passant par la grande presse comme Le Monde. L’information s’est diffusée jusqu’à toucher l’étranger. L’article du Monde a été repris par une quarantaine de journaux sous formes de brèves. De fausses interviews sont également parues, notamment dans le tabloïd anglais le Daily Express dont l’article était une compilation de plusieurs articles et d’images provenant d’agences de photos. La diffusion de l’histoire des produits remboursés s’est donc amplifiée et est devenue une sorte de produit, jusqu’à ce que je fasse l’ouverture du Journal de 13h sur France 2. En 2000, je me retrouve également dans un autre tabloïd anglais, le Daily Record, avec un grand article intitulé « Le roi du gratuit ».
Parallèlement, le projet des produits remboursés s’est développé dans le milieu de l’art. Puis, comme « ma vie d’artiste » change, je décide d’arrêter ce projet après presque 10 ans de consommation selon cette méthode. J’ai choisi de clore ce projet et d’en faire une sorte de rétrospective, à l’occasion de l’invitation d’Harald Szeemann à la biennale de Venise, en 2001. J’y ai donc présenté une installation, composée d’une sculpture de cire, commandée au musée Grevin, me représentant à taille réelle avec un caddie rempli d’objets, et d’une série d’articles de presse et de passages télévisés. Cette sculpture représente l’image que les médias et le milieu de l’art ont mémorisée de moi.
Parallèlement à ce projet des produits remboursés et des passages télévisés, j’ai toujours développé d’autres projets. Alors que j’avais déjà infiltré la télévision, en 1998, je suis invité par la télévision pour mon statut d’artiste. C’était sur la défunte chaîne culturelle « Spectacle », pour un programme de 5 minutes, consacré à l’Art Contemporain. Le programmateur de l’émission me demande de montrer des images de mes passages télévisés. J’y renonce car cela n’a pour moi pas de sens mais je leur propose d’utiliser leurs moyens techniques et financiers pour créer un nouveau projet. La chaîne réalisait des micros trottoirs pour savoir ce que les gens pensent d’un spectacle ou d’un film. J’ai donc accompagné une équipe de tournage, installée sur les champs Elysées et fait lire aux passants des phrases extraites du livre de Guy Debord. Alors qu’habituellement dans cette situation les gens répondent intuitivement ou naïvement à des questions, dans mon dispositif ils lisent des phrases issues de La société du Spectacle. La vidéo est ensuite diffusée sur « Spectacle », pendant plusieurs semaines. Il s’agit donc de ma première expérience de collaboration avec la télévision.
En 2000, je m’investis dans un autre projet avec « Consonni », une structure de Bilbao productrice d’expositions sans être attachée à un lieu particulier. Elle laisse une grande liberté à l’artiste sur le sujet, le lieu, le sens de l’exposition, sans limite de temps. J’apprends que je suis le premier artiste non basque pour lequel Consonni a obtenu un budget public du gouvernement basque. Pour la première fois je suis confronté à un budget important. Je cherche à savoir d’où vient cet argent et après l’allocation de budget à certains postes, dédiés aux moyens de fonctionnement, je réalise que le montant restant correspond au prix d’une voiture neuve. Avec Consonni, nous décidons de ne surtout pas faire une exposition mais de monter une sorte d’opération médiatique afin de toucher plusieurs secteurs et pas uniquement celui de l’art. Je commence par réaliser un prospectus, tiré à 150 000 exemplaires et distribué dans le grand Bilbao. Il annonce le projet « El Gran Trueque » précisant : « Je te donne ceci, que me donnes-tu en échange ?». Le verso explique comment participer et annonce une émission télévisuelle qui présente le fonctionnement de ce nouveau projet consistant en un enchaînement de trocs. Je décide de mettre en jeu une voiture achetée avec le budget de production, On demande aux habitants de Bilbao de donner, en échange de cette voiture, un objet acheté, porteur d’une valeur marchande. La proposition d’enchère est aveugle et les participants ne peuvent savoir qu’elle est l’offre la plus haute. Après un mois d’appels auprès d’un numéro vert spécialement mis en place, l’offre la plus forte correspond à un ordinateur et son imprimante. La voiture est donc échangée contre le produit proposé devant les caméras. Chaque produit est ensuite remis en jeu pour l’émission de la semaine suivante. Ainsi, l’ordinateur et l’imprimante seront échangés avec un téléviseur, lequel sera troqué contre un réfrigérateur, lui-même troqué contre un presse agrume, puis un déguisement de super héros. Après 3 mois de diffusion de l’émission télévisée, nous nous retrouvons avec un lot de 6 verres d’une valeur d’1€. Pendant les 3 mois de diffusion de l’émission, les gens, au début crédules, sont déçus de ne pas avoir participé. Ils ont assisté, chaque semaine, à la chute de la valeur des enchères. Même s’ils ont été de plus en plus nombreux à enchérir, les montants restaient faibles. Ce projet a demandé une gestion complexe. L’intérêt était d’aller, à l’inverse, dans une surenchère qui conduisait à la perte. L’émission s’est arrêtée d’elle-même car personne n’appelait plus pour surenchérir sur le lot de verres. La participation du public était donc motivée par des raisons économiques.

CF : Au sujet des « produits remboursés », il ne s’agit pas seulement de consommer gratuitement, l’intérêt est de mettre en valeur ce travail, en communiquant par des tracts, sur tes passages télévisuels. Je souhaite souligner la complexité de ce travail car tu as poursuivi longuement ta démarche de consommation. De plus, tu as utilisé le marketing des grands groupes alimentaires : qui consiste à attirer le client par des offres promotionnelles – et les as pris à leur propre piège. En effet, si tout le monde consommait uniquement des produits remboursés, ces groupes perdraient de l’argent. Ta démarche active révèle une manière de consommer dans notre société qui est a contrario très passive. Par ton travail, consommer gratuitement devient un acte relevant de l’art, une attitude qui devient forme. Ce n’est pas seulement en te déclarant artiste que tu l’es, mais en entreprenant tout un travail en amont, un travail qui suppose une grande connaissance du contexte, de la télévision, etc..

IC : Comme on le voit d’après les oeuvres qu’il vient de présenter, Matthieu Laurette travaille en prise directe avec la réalité quotidienne et je voudrais souligner trois éléments qui me semblent tenir une place particulière dans l’élaboration de sa pratique artistique : la télévision, l’argent, le personnage de l’artiste. Je mettrai ensuite l’accent sur les enjeux.

On peut distinguer quatre approches dans l’usage qui est fait de la télévision, c’est-à-dire de l’outil télévisuel tel quel, en grandeur réelle.
La première approche est celle des premières Apparitions qui sont des apparitions à l’état pur. Il s’agit d’apparaître sur des plateaux de télévision de la manière la plus banale (mais de manière répétée et dans différents contextes ) et de créer (de « débaucher ») un petit cercle de téléspectateurs à l’intérieur du monde de l’art, en invitant les gens par courrier à regarder tel jour, à telle heure, sur telle chaîne « l’exposition personnelle » de Matthieu Laurette. Pour que les Apparitions méritent leur nom, c’est-à-dire pour qu’elles soient validées non seulement comme « idée », mais dans la réalité, il leur fallait un public, même petit, qui les perçoive en tant qu’Apparitions (avec un A majuscule) d’un artiste (avec un a minuscule) autoproclamé et encore étudiant à l’Ecole des beaux-arts.
La seconde vague d’Apparitions télévisuelles correspond à une seconde approche qui est celle de la promotion de « la méthode des produits remboursés » (j’y reviendrai à propos du personnage de l’artiste).
La troisième approche concerne la décision, en 1998, d’utiliser les moyens de production de La Chaîne Spectacle (chaîne de télévision cablée) pour la prendre au mot en réalisant la vidéo « Le spectacle n’est pas terminé », comme contribution à une émission intitulée « Mai 98 » en écho à Mai 68. Je voudrais souligner au passage l’aspect « critique en acte » de l’oeuvre de Matthieu et sa stratégie formelle favorite qui consiste à « prendre au mot » des projets, des situations, des propositions qui lui sont faites et à les traiter en grandeur réelle. Par exemple, la conception des Conventions internationales de sosies regroupées sous le titre « Déjà vu » (dont les cinq affiches-photo/souvenirs ont été exposées ici-même le mois dernier par Pascal Beausse dans « Propaganda »), est à l’origine une réponse à l’invitation de participer à l’exposition Au-delà du Spectacle au Centre Pompidou en novembre 2000.
C’est avec « Le Grand Troc » que se construit la quatrième approche de l’outil télévisuel, avec cette fois un usage complet du dispositif. Il s’agit de produire pour et avec une chaîne de télévision basque (Canal Bizkaia) un format standard : le jeu télévisé, (d’où l’accord de la chaîne) mais un jeu dont le concept est inadapté (d’où la déception de la chaîne par la suite). Le decrescendo dans la valeur des objets échangés est nettement contre-productif en termes de prestige et de gain en audience et en parts de marché. Le concept du Grand Troc est maintenant breveté, mais il semble improbable que des producteurs d’émissions télévisées se précipitent pour l’acquérir.

L’argent, c’est-à-dire comment s’en passer dans le cas des « produits remboursés » et même comment s’en débarrasser dans le cas du « Grand Troc » que je viens d’évoquer à propos de l’outil télévisuel.
Au cours des années 90, les institutions artistiques publiques et privées ont encouragé l’expérimentation et le développement du travail artistique par projet, en généralisant la pratique du budget de production. Qu’elle soit modeste ou qu’elle soit importante, il est courant de considérer cette somme d’argent comme accessoire, périphérique à l’acte de création proprement dit. Et pourtant, pas d’argent, pas de projet, pas d’oeuvre. Il s’agit d’un élément constitutif, d’une condition matérielle sine qua non qui n’est pas prise en compte symboliquement.
En problématisant la dépense du budget, et en élaborant des formes à même de le faire circuler et de le redistribuer, comme dans le cas du Grand Troc où le lot d’origine, la voiture, a été acheté avec la complicité de la structure Consonni dirigée par Franck Larcade à Bilbao (je crois que Matthieu a prévu de vous citer deux autres cas de collaboration avec de petites structures aux Pays-Bas et en Finlande) Matthieu Laurette rend visible cette donnée financière aussi transparente qu’indispensable et la prend ouvertement en compte en tant qu’art.
Cette notion de « perte cumulée » par trocs successifs en grandeur réelle (qui représentent autant de petites aubaines pour les innocents gagnants du « jeu télévisé ») semble mieux faite pour plaire à un amateur d’art qu’à un producteur de télévision. Peut-être que je devrais dire « moins déplaire » plutôt que plaire ?

L’aspect le plus voyant du « personnage de l’artiste» correspond aux secondes Apparitions consacrées à la promotion de la « méthode des produits remboursés ». Avec cette seconde approche de l’outil télévisuel, la décision ne réside plus dans la sélection de telle ou telle émission choisie pour la pertinence de son thème, mais dans le fait d’accepter toutes les invitations. Présenté comme « roi de la combine » (J’y crois, j’y crois pas, TF1 1996), ou « roi du coupon-réponse » (Sans aucun doute, TF1 1997) et perçu selon le cliché du jeune artiste fauché façon XIXème siècle, forcément méconnu et en attente de gloire, Matthieu Laurette s’est laissé métamorphoser pendant deux ans (1996-97) en star dérisoire de talk-shows et en poule aux oeufs d’or d’audimat.
En 1998, l’image de l’artiste Matthieu Laurette est donc principalement celle d’un parasite rusé de la consommation qui s’habille, se lave et se nourrit gratis, qui a diffusé sa « méthode » à tout bout de champ à la télévision et qui s’est réapproprié ces documents télévisés pour faire lui-même la publicité des « produits remboursés ».
Les mentions « Vu à la télé » et « Toute la presse en parle ! » sur les « tracts » distribués par les camions vitrines « Vivons Remboursés » remplissaient vis à vis du grand public la même fonction que les florilèges d’extraits critiques et les listes d’exposition garantissant la « valeur » des artistes dans le champ artistique. De plus, à l’appui des informations pratiques (listes de produits sans cesse réactualisées et suggestions de menus), la diffusion des extraits d’émission jouait comme une pièce à conviction garantissant le sérieux de la proposition vis à vis des passants incrédules qui jugeaient cette histoire de produits remboursés trop belle pour être vraie (j’en ai été témoin).
Le moulage hyperréaliste réalisé par les « sculpteurs » du musée Grévin et montré à la Biennale de Venise en vis à vis du poster publicitaire (comme un écho formel en 3 D venu concrétiser, façon Wang Du, la photo de presse géante, tout en se superposant à l’image de la ménagère américaine au supermarché immortalisée par Duane Hanson), hypostasie en quelque sorte l’image de « roi de la combine », en même temps qu’il clôt ce cycle de l’activité artistique des « produits remboursés ».

Cette façade burlesque cache des enjeux sérieux que je vais résumer avant de redonner la parole à Matthieu.
En 1993, Matthieu Laurette, apprenti artiste à l’école des beaux-arts de Grenoble, prend principalement appui sur des précédents désignés par lui comme étant : la déclaration de Broodthaers sur le carton d’invitation de sa première expo personnelle (« Moi aussi je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie (…) », la notion duchampienne du Ready-made inscrit comme « une sorte de rendez-vous », et celle, warholienne, du « quart d’heure de célébrité ». Fort de ces références qui relèvent d’une approche globale s’inscrivant dans la tradition analytique de l’activité artistique, il entreprend de se plier à toutes les règles de pré-selection et de sélection auxquelles le monde de la télévision soumet « les vrais gens » pour les autoriser à participer à une émission télévisée. Comme « les vrais gens » il signe un document où il déclare « renoncer à titre gratuit, total et définitif à (son) droit à l’image » pour avoir le droit d’accéder au plateau, et comme un artiste il conserve ce document qui lui rappelle les codes de l’art conceptuel. Comme il le fera en inventant la « méthode des produits remboursés », il systématise son comportement et exploite l’offre télévisuelle bien au-delà de ce qui est anticipé de la part d’un téléspectateur « normal »
Il me semble que ce dédoublement a permis à Matthieu Laurette d’abolir réellement en tant qu’artiste toute hiérarchie entre le monde de l’art et le monde ordinaire. C’est-à-dire d’échapper à la fois au piège de l’intellectualisme (où aurait pu l’entraîner le modèle de l’art conceptuel des années 60-70) et au piège des bons sentiments et des bonnes causes auquel conduit la croyance (partagée par beaucoup d’artistes contemporains) que « la sphère des rapports humains » puisse être indemne de tout rapport de force.
Je prends comme exemple le document par lequel le téléspectateur renonce à son droit à l’image lorsqu’il est invité sur un plateau. Une fois reproduit au verso de la couverture du petit livre-catalogue rétrospectif intitulé Matthieu Laurette présente FREE SAMPLE DEMIX (1998), ce contrat devient lui-même une image tout en témoignant d’une valeur juridique réelle. La simple publication de ce document est simultanément une critique en acte de l’aspect tautologique d’oeuvres conceptuelles où le document renvoie à la notion de documentation (et à sa légitimité en tant qu’art), et du rapport de pouvoir par lequel les présentateurs de télévision s’autorisent à exploiter gratuitement et en toute légalité l’image des soi-disant « vraies gens », c’est-à-dire leur désir de téléspectateur de passer de l’autre côté de l’écran. Cette forme est donc à la fois autonome (« oui j’ai le droit de considérer qu’un document est de l’art ») et socialement transitive puisqu’il s’agit d’un contrat type réellement signé par des centaines de personnes.
Matthieu Laurette va présenter dans un instant son « Citizenship Project » et si l’on prend en compte la globalité de sa démarche, on voit qu’il a développé une forme de pratique artistique qui joue en vraie grandeur (à l’échelle 1 de la société) avec les conditions financières et juridiques imposées par le monde réel. Ce faisant, on peut dire qu’il élargit à l’ensemble du monde social une forme de pratique artistique dite « contextuelle », initiée principalement par l’artiste californien Michael Asher (moins connu en France que Daniel Buren, ce dernier appartient à la même génération artistique et il existe une parenté avec la notion d’in situ).
La radicalité avec laquelle il a aboli la hiérarchie entre le monde de l’art et le monde ordinaire est sans doute ce qui a donné à Matthieu Laurette la liberté d’élaborer, en tant qu’art, une sorte d’auto-portrait analytique de l’artiste, tel qu’il se construit et s’insère en grandeur réelle dans la société. « Matthieu Laurette présente FREE SAMPLE DEMIX » (publié à l’occasion de la première exposition personnelle galerie Jousse-Seguin) rend visible un processus qui n’a plus rien de secret depuis les années 80, mais qui, comme la question du budget de production (que j’ai mentionnée tout à l’heure) est généralement considéré comme extérieur à la problématique artistique proprement dite. La partie du livre intitulée « Si vous avez manqué le début… Name dropping, propos recueillis par Hughes Royer » fait apparaître, sur un même plan et en tant que forme artistique, l’ensemble des personnes ayant contribué au développement de l’activité artistique de Matthieu Laurette (certaines n’appartenant pas au monde de l’art) ainsi qu’à la construction de son statut d’artiste lorsqu’il s’agit de personnes influentes (son professeur de culture générale à l’école des beaux-arts, un directeur de FRAC, un inspecteur de la création artistique, des collectionneurs etc.)
En problématisant de cette façon la question de la légitimation artistique, en la posant en tant qu’art à propos de lui-même, Matthieu Laurette ajoute la question « Qu’est-ce qu’un artiste ? » à la question « Qu’est-ce que l’art ? » (bien qu’adroitement déplacée, cette question n’est pas éliminée par le pragmatique « quand y-a-t-il art ? » qui ne suffit pas à l’épuiser) et révèle d’une part, que le statut de l’art et le statut de l’artiste sont indissociables, et d’autre part, qu’une désacralisation de l’art effective passe probablement par une désacralisation (elle aussi effective) de l’artiste.
Pour conclure, je dirai que ce que l’on constate est une extension du champ de la réflexivité en même temps qu’un prolongement historique des démarches analytiques et critiques entamées dans les années 60. Par réflexivité j’entends le fait de s’attaquer directement aux significations : « qu’est-ce que ça veut dire de faire ça ? ou ça ? ou ça plutôt que ça ? » et de créer des formes (pas des styles) qui posent ces questions en acte. Il me semble que c’est ce qu’a fait, et continue de faire, Matthieu Laurette.

CF : Je voudrais que Matthieu revienne sur certains points importants de son travail, notamment sur le domaine de la télévision. Alors que certains artistes simulent des émissions télévisuelles, toi tu investis la télévision dans la réalité, tu te comportes comme une personne qui participerait à une émission ou comme un professionnel de la télévision, comme dans « Le grand troc ». En quoi s’agit-il d’un travail critique?

ML : Je me suis posé la question de l’aspect critique suite à mes premières invitations à participer à des expositions dans des institutions dans le cadre rigide et formalisé de l’exposition. Ma première exposition dans une galerie était en 3 parties et se composait d’une exposition, d’un disque et d’un livre. Ces 3 éléments intitulés « mix » « demix » et « remix » font tous partie de l’exposition.
Je prends un autre exemple, pour ma première exposition personnelle dans une petite institution très active en Hollande les contraintes du lieu, le budget,la possibilité d’envoyer des invitations me sont précisés. Le budget me semble modeste et je décide d’exposer une soixantaine d’objets offerts par les commerçants et les entreprises de la ville, lesquels vont ainsi doubler le budget de production. L’exposition présentait une soixantaine d’objets donnés (des chaises longues par Ikéa), des caleçons, des leçons de conduites de motos, etc. Ces objets sont exposés sur un podium. Parallèlement, l’invitation comporte un numéro de sorte que chaque invité est potentiellement gagnant d’un objet exposé. Le soir du vernissage un tirage au sort est organisé. Certains objets sont gagnés par les absents à qui nous adressons une lettre pour leur préciser qu’ils ont gagné et que s’ils ne peuvent venir chercher leur objet, il leur sera envoyé. Par exemple, la chaise longue a été envoyée à New York, un vase à Genève. L’exposition s’est donc démontée d’elle même et le jour de la clôture, il ne restait aucun d’objet. Enfin, j’ai donné le budget de production de l’exposition inutilisé, à un musée de Rotterdam, pour participer à la construction d’une nouvelle aile. Le musée remerciait les meilleurs donateurs en gravant une brique à leur nom. L’intérêt de cette démarche est de m’avoir permis d’utiliser le contexte du marché de l’art, comme réseau d’activité et également en terme de visibilité et de sens critique. Depuis quelques mois, « Laurette » est inscrit sur l’un des briques de ce musée. Ce qui pose la question de l’objet et de son statut.

CF : Il semble que l’idée de l’autodestruction se retrouve dans tout ton travail. C’est visible dans « Le grand troc » puisque tu pars d’une voiture pour arriver à un lot de verres, en 3 mois d’émission. Finalement la marchandise valorisée dans notre société se dévalorise en decrescendo, elle-même. La méthode pour consommer gratis reprend aussi l’idée d’autodestruction puisque, dans une société d’abondance, si tout le monde consommait gratuitement, les grandes sociétés courraient à leur perte. A l’horizon de ton travail, il y a donc cette idée que les choses vont à leur perte, même si cela ne se produit pas parce que les consommateurs n’adoptent pas ta position active.

ML : Je ne crois pas à la gratuité, qui suppose ou le vol ou le don. Je m’intéresse à la production de valeur ou à son altération voire sa destruction.

CF : Effectivement, je crois que tu donnes à voir la possibilité d’une destruction du système. C’est en cela que ton travail possède une dimension critique. Pourrais-tu illustrer cette idée en rappelant ton travail ta participation à une exposition sur le thème des hackers ?

ML : En 2000, je suis invité dans l’exposition « Social Hackers » présentée en trois parties, dans une galerie associative finlandaise. Chaque exposition réunissait deux artistes : un nordique et l’autre non. Associé à la suédoise Gunilla Klingberg, nous avons décidé de nous partager l’espace, de mener deux actions différentes. J’ai remarqué qu’en Finlande, l’argent perdu à la loterie revient au ministère des arts, des sciences, de la nature et des sports qui le redistribue. Le budget de production dont je disposais pour cette exposition provenait de ce même ministère. J’ai donc décidé d’acheter des cartes à gratter finlandaises et de les faire gratter par 4 personnes pendant la durée du vernissage, reprenant ainsi les codes de la performance. Celle-ci a duré plus d’une heure trente, je tenais les comptes. Les cartes gagnantes devenaient mes honoraires, les perdantes retournaient au producteur. Un graphique était projeté, en même temps. Il présentait la part des pertes à la loterie reversée aux arts : 54% l’année précédente. Ainsi, l’argent que je perdais contribuerait à réaliser d’autres expositions, profiterait à d’autres artistes.
Dans ma vie d’artiste, j’utilise des codes, non pas pour les détruire, mais parce que j’ai décidé que tout pouvait être utilisé comme matériau. A la fin de la performance, il ne restait que des cartes au sol et je suis reparti avec des honoraires, lesquels n’étaient pas prévus, alors que nous ne produisions pas une pièce conservée ensuite par la galerie. C’était donc ma réponse à une invitation qui posait la question de savoir si les artistes ne sont pas des « hackers du réel ».
Depuis 1997, je travaille sur le « Citizenship Project ». J’ai remarqué, lors de recherches sur Internet, que si la nationalité n’est pas un produit, si elle n’est pas à vendre, certaines annonces vous proposent, néanmoins d’acheter légalement une nationalité. Par exemple, un passeport autrichien se vend un million de dollars et la nationalité du Cap Vert vaut 35000 dollars. Un certain nombre d’états ont mis en place des structures para-étatiques qui proposent des programmes d’investissement. Au Cap Vert, si vous investissez dans le tourisme, vous pouvez obtenir votre nationalité. Il faut comprendre que, derrière ces changements de passeports, l’objectif est de payer moins d’impôt. Autre résultat de mes recherches, j’ai découvert qu’à Panama, il est légal d’acheter une exploitation, une société forestière, en échange d’un passeport et de 40 000 dollars, auxquels s’ajoutent des frais d’avocats. J’ai ensuite mis sur Internet les informations récoltées et ajouté des lois sur la citoyenneté en différentes langues. J’ai étudié ces lois de façon un peu naïve puisque je n’ai aucune formation en droit. D’ailleurs, l’une des particularités de mon travail est d’aborder un domaine, d’en comprendre les mécanismes pour approfondir ensuite le sujet en rencontrant des spécialistes.
Comme je n’ai pas actuellement de budget de production ou de revenus, je ne peux me permettre d’acheter une nationalité aux tarifs auxquels elles sont vendues. J’ai donc lancé une campagne pour devenir citoyen américain, à l’occasion d’une invitation à l’exposition « Really ». J’ai présenté « Aidez-moi à devenir citoyen américain » projet dans lequel j’explique qui je suis et comment faire pour m’aider. L’exposition était composée de tous les papiers d’immigration, une urne dans laquelle les visiteurs pouvaient mettre leur carte de visite ou de l’argent. J’ai choisi de développer ce projet sur la citoyenneté, en 2001, à l’occasion de la biennale de Venise. Harald Szeemann, le commissaire m’avait invité pour présenter les produits remboursés. J’ai souhaité montrer un nouveau projet, une sorte d’extension du « Citizenship project ». J’ai choisi de questionner la biennale de Venise sur la mondialisation, notamment sur sa volonté d’inclure un maximum de pays. En collaboration avec les organisateurs, j’ai obtenu la liste des pays représentés, soit dans l’exposition soit par leur pavillon. 80 pays étaient invités et 120 ne l’étaient pas. J’ai demandé à Szeemann d’adresser une lettre aux ambassadeurs des pays non représentés pour savoir s’ils souhaitaient que je sois leur représentant à la biennale. En échange, ils devaient m’accorder la nationalité de leur pays ou la double nationalité. J’ai mis 2 mois pour obtenir l’accord de l’organisation de la biennale. Les photocopies des lettres étaient exposées à la biennale sur des panneaux. Je n’ai reçu que cinq réponses, toutes négatives qui répondaient indirectement à la question en précisant que le pays ne donne pas de double-nationalité. D’autres réponses m’ont réorienté vers d’autres ambassades. Donc aujourd’hui je suis toujours citoyen français.
Je vous présente maintenant une exposition grâce à laquelle j’ai collaboré avec Raymond Hains, en 2002 à la Jousse Entreprise, Paris. Avec l’idée de questionner les matériaux utilisés par Raymond Hains , comme les gens ou les noms. J’utilise, quant à moi, Raymond Hains lui-même et tout ce qu’il représente. Nous nous sommes finalement auto utilisés puisqu’il a présenté une série de photos. L’une le montrait dans mon propre rôle dans un supermarché. Pour sa part, il m’a pris en photo devant mon lycée, à Saint Malo. En effet, le nom du lycée « Jacques Cartier » résonne très fort dans le travail de Raymond Hains. Cette école se situe d’ailleurs dans la Rue du revenant, qui fait l’angle avec la Rue de l’amitié.

CF : Comme le précisait Inès, dans ton travail tu prends les situations au mot, ce qui est également le propre du travail de Raymond Hains.

ML : Je n’avais pas rapproché les choses ainsi, mais je pense que notre travail est en connexions à plusieurs niveaux.
J’aborde maintenant un autre territoire exploré dans le cadre de mon travail : le projet des photos de sosies, démarré en 2000. Il repose sur la question du vernissage, de la médiation des artistes et de l’art, et consiste pour moi à inviter des sosies pour une rencontre professionnelle. Ainsi, des conventions de sosies se déroulent parallèlement au vernissage d’une exposition. Au Centre Pompidou, par exemple, j’ai réuni plusieurs sosies, dont Sean Connery. Le lendemain, le rassemblement de sosies était rapporté dans le Parisien et les médias. Un an plus tard, invité à une exposition au Castello di Rivoli, j’ai renouvelé l’événement qui a pris une dimension médiatique plus importante. Nous avions effectivement choisi les 10 meilleurs sosies italiens dont Lise Taylor. Ils se sont réunis au vernissage et ont posé pour la presse et les photographes.

CF : Mais qui sont ces sosies et où les trouves-tu ?

ML : Ce sont des professionnels qui en tirent parfois une véritable célébrité. Le sosie de Mr Bean, par exemple, est une star de la publicité en Italie. Il faut évidemment les contacter, les choisir et les attirer dans un milieu différent. Il faut que les médias présents lors du vernissage connaissent les sosies. La présence des médias ajoute du spectacle au spectacle lui même.
Une convention de sosies a eu lieu à Perth en Australie. Il a réuni plus d’amateurs que de professionnels. J’ai développé ce projet en Corée. Les sosies du dictateur de Corée du Nord et le président de la Corée du Sud étaient présents au vernissage et reproduisaient leur poignée de main, geste historique et rapporté par tous les médias. Enfin, pour le vernissage d’une exposition à la LCA de Londres, j’ai réuni de nombreux sosies qui ont attiré la presse et plus d’une quarantaine de photographes « people ». Le lendemain paraissait une page dans le Evening Standard. La dernière convention se tenait à Vilnius, en Lituanie, avec les sosies de Boris Eltsine et de Lénine entourant le sosie de Julia Roberts. Après chaque événement je commande une affiche de la convention à un graphiste local.

CF : Pour rebondir sur l’idée développée par Inès Champey ; penses-tu que ton travail est dans le prolongement de celui des artistes conceptuels ? Comment te situes-tu par rapport à cette histoire ?

ML : Je me suis posé cette question : comment faire après Warhol, Raymond Hains et l’art conceptuel ? Mais aller à la télévision était ma façon de faire écho au travail des artistes des années 60, qui n’y passaient que pour dire « la télé c’est pas bien » ou aux émissions ennuyeuses qui ne laissaient la place qu’à de vieux artistes, le dimanche avant 9h ou après minuit.

CF : Serais-tu alors un artiste néo-conceptuel ?

ML : J’essaie de ne pas porter d’étiquette, de ne pas avoir de médium spécifique mais plusieurs, voire tous. Il y a certes une dimension conceptuelle dans mon travail, qui tient surtout au fait que j’ai déposé un brevet (pour Le Grand Troc).

IC : Même si les démarches sont très diverses dans l’art conceptuel, le travail de Matthieu est très proche de l’esprit des oeuvres de Michael Asher qui ne produisait aucun objet. Par exemple, au Centre Pompidou il a exposé des livres, issus du rayon « Psychologie, psychanalyse » de la BPI, livres dans lesquels les gens avaient laissé des petits signets, avec un mot pour se remonter le moral ou un « téléphonez-moi », sortes de traces affectives. Il a ainsi fait apparaître la bibliothèque dans l’espace d’exposition. Il avait même demandé que l’entrée soit gratuite, comme l’est l’accès à la bibliothèque.

ML : J’apprécie particulièrement une oeuvre de Asher réalisée pour un collectionneur, à qui il a proposé de déplacer l’un de ses murs et de le donner à son voisin. Cette oeuvre fait appel à la notion de contrat.
Par ailleurs, j’aime que l’oeuvre conserve une dimension humoristique car il me semble essentiel de procurer un plaisir au visiteur, de provoquer un rire chez le spectateur. J’essaie de ne pas me prendre au sérieux. Finalement, je m’intéresse plus à la façon dont Warhol développe une iconographie, fait un magazine, participe à la série télévisée « la croisière s’amuse » qu’à son quart d’heure de célébrité. Le travail de Warhol comporte aussi une dimension conceptuelle.

CF : Cette dimension humoristique est manifeste, par exemple, dans la visite guidée d’un Monoprix que tu organises pour des collectionneurs, auxquels tu expliques comment se faire rembourser.

ML : Effectivement, les gens n’ont pas pris au sérieux la possibilité de vivre de produits remboursés. Simuler un faux plateau télévisé, produire une fiction ne m’intéresse pas. Je cherche à réaliser concrètement mes projets, malgré leur complexité. Je travaille avec les moyens dont je dispose mais essaie de les augmenter en m’appuyant notamment sur le contexte et la structure de production de l’exposition

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Intervenants

Inès Champey

Date
Horaire
19h00
Lieu
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre

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